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Image des installations d'une ferme agricole de Plaisance
Au cours des années 1980
Municipalité de Plaisance (Petite-Nation, Québec) Canada


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De la subsistance à l'industrie

On a longtemps opposé les mondes industriels et agricoles, un peu comme on le fait pour la ville et la campagne. On oublie cependant que la révolution industrielle n'a pas été le fait des seuls milieux urbains et qu'elle n'a pas été la cause unique de la désertion du milieu rural. Au Québec, à partir du milieu du 19e siècle, l'avènement d'une nouvelle industrie technologique permet à l'agriculture d'amorcer un virage fondamental et d'entrer dans « l'ère des machines » encore aujourd'hui indissociable de toutes les productions agricoles.

En cent ans, d'un milieu de siècle à un autre, l'industrie de la machinerie agricole a connu un développement dont l'importance est peu reconnue. C'est d’abord dans la région de Montréal que sont apparues les premières industries de la machinerie agricole. Par la suite, des dizaines d'entreprises sont nées et ont prospéré sur le territoire de tout le Québec. Ces entreprises novatrices ont permis aux agriculteurs de s'équiper progressivement d'équipement de qualité afin d'améliorer leur productivité par des « méthodes de production et de gestion modernes »

Avec l’avènement de l’industrialisation dans les villes comme Montréal, l’économie des régions est appelée à s’adapter pour fournir en alimentation la population urbaine montante. Graduellement l’agriculture s'est intégrée dans le circuit de l’industrie agroalimentaire (transformation et distribution) des grandes villes. En fait, elle devait répondre à la demande croissante de ces nouveaux résidents de la ville, maintenant peuplée de nombreux ouvriers ayant quitté la campagne au XXe siècle pour le travail à l’usine.

Malgré cette demande grandissante, la production agricole restait peu rentable, avec tous les investissements que demandait l’augmentation de la production. D’ailleurs, la diminution des revenus agricoles, due à la baisse de la valeur des denrées alimentaires - ces dernières étant surproduites – poussait les agriculteurs à vendre leurs surplus sur les marchés et par la même occasion, à spécialiser et mécaniser leur production.

Devant s’adapter à la demande des acheteurs, soit les industries de transformation des villes, les agriculteurs délaissèrent peu à peu l’agriculture par polyculture, jadis modèle fort important dans l’agriculture domestique de la société traditionnelle québécoise. En effet, les entreprises de transformation, cherchant des marchés lucratifs, ont forcées les agriculteurs à orienter leurs cultures en fonction des besoins de l’industrie pour arriver à en tirer un certain revenu. Ainsi, pour la première fois, les agriculteurs furent tranquillement soumis à une logique
marchande par une pseudo forme d’intégration qui les obligeait à se plier à la demande des industries agroalimentaires de la région urbaine.

Or, cette spécialisation n’était pas drastique. En fait, il s’agissait d’une spécialisation graduelle qui s’exerçait par
les fermiers qui, d’une certaine manière, s’alimentaient toujours d’une portion des récoltes :

« La polyculture destinée à satisfaire l’ensemble des besoins des familles s’accompagne d’une forme de spécialisation. La ferme tend à tirer sa principale source de revenus d’un produit considéré comme plus rentable, les autres lui fournissant un revenu d’appoint ou servant , dans une moindre mesure, à l’alimentation de la maisonnée (Dupont, 2009). »

Avec le temps, la spécialisation s’adapta aux différents climats de chaque région du Québec.

Or, si la spécialisation apparaît comme un mécanisme de réponse à la demande des industries, alors celle-ci a rapidement pour effet de se conjuguer à la demande s’accentuant en période de croissance économique et, qui de fil en aiguille occasionne une augmentation de la production des industries agroalimentaires. Par conséquent, l’agriculteur doit lui-même augmenter sa production pour répondre à la demande des entreprises de transformation en aval.

Il devient alors indubitable que les innovations techniques en agriculture apparaissent comme une réponse intéressante aux défis que pose l’augmentation de la production agricole; d’une agriculture, qui soit dit en passant, ne fait que sortir des méthodes qualifiées d’artisanales et peu adaptées aux besoins des marchés croissants. En effet, ce contexte les pousse à transformer le travail de la terre par l’emploi d’outils facilitant cet ouvrage ardu. Les véritables bouleversements apparurent avec l'arrivée du tracteur.

Si la mécanisation graduelle de l’agriculture à progressivement modifié les techniques agricoles, elles furent d’autant plus et profondément marquées par l’apparition du tracteur. En effet, les instruments aratoires de toutes sortes, apparurent au XIXe siècle, mais, restèrent tout de même artisanaux au commencement. Ils ont certes facilité le travail et augmenté ainsi la productivité des fermes, cependant l’invention du tracteur à vapeur par le Russe Fiodor Blinov entre 1881 et 1888, puis des copies de John Charter et John Froelich, qui construisirent les premiers tracteurs à gaz en 1889 et en 1892 respectivement et qui remplaça progressivement les chevaux, furent particulièrement révolutionnaire en agriculture. Ainsi, il permirent d’augmenter la productivité des fermes de façon notoire, plus précisément après la Seconde Guerre.

Malgré cette innovation technique, il reste que bon nombre d’agriculteurs n’eurent pas les moyens d'en acquérir un, vu son coût élevé. En effet, avant la Seconde Guerre, il se trouve que « moins d’une ferme sur vingt-cinq en possède un [,] » et que par la suite « l’augmentation sera significative » (Ibid, 2009). En fait, l’achat du tracteur est souvent relatif à « la conjoncture économique et [...] [aux] coûts de la main-d’oeuvre agricole (Ibid, 2009). » Le contexte d’après-guerre est marqué par la relance économique en agriculture pour fournir l’Europe, ce qui favorise l’apparition plus généralisée du tracteur dans les campagnes. La mécanisation de l’agriculture rapproche aussi davantage la vocation de l’industrie en périphérie en délaissant peu à peu l’agriculture paroissiale.

La modernisation des installations et de l'équipement des fermes du Québec débuta donc durant la deuxième guerre et se poursuit encore aujourd'hui, mais le plus grand de cette modernisation se fit durant les années 1960 à 1970. Les fermiers commencèrent par acquérir des terres abandonnées par leurs voisins partis travailler à la ville. Ils agrandirent progressivement leurs installations, ajoutèrent des bâtiments, construisirent des silos, achetèrent de nouvelles bêtes afin d'augmenter leurs cheptels et modernisèrent leurs équipements agricoles.

« [a]u Québec, la moyenne des âcres par ferme se chiffre en 1941 à 116,8 âcres; en 1961, à 148 âcres », pour une ferme classée comme « commerciale ». (CHATILLON, Colette, 1976)

«Au cours de la décennie 1970, les silos dans les fermes apparaissaient aussi modernes (et donc nécessaires)que les avions dans le ciel. Pourtant, on connaissait déjà des techniques qui ne coûtaient rien: des monticules recouverts de plastique par exemple, mais aucune de ces techniques n'avait la puissance symbolique de ces grands phallus blancs ou bleus dominant le paysage. »

Référence et inspirations :
DUFRESNE, Jacques « Un pacte agricole pour le Québec »
http://agora.qc.ca/documents/agriculture--un_pacte_agricole_pour_le_quebec_par_jacques_dufresne
POIRIER, Luc, « De l’histoire et de la politique agricole au Québec à l’émergence d’une agriculture soutenable », 16 décembre 2010, Groupe de recherche en intérêt public (GRIP-UQAM), Université du Québec à Montréal
http://www.er.uqam.ca/nobel/grip/web/wp-content/uploads/2011/02/Poirier_Agriculture.pdf
CHATILLON, Colette, « L'histoire de l'agriculture au Québec », Montréal, Éditions l'Étincelle, 1976