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Au cours de l'enquête sur la grande tempête, des témoins de l'Observatoire météorologique fédéral de Toronto furent interrogés. L'organisme avait été critiqué sur la façon dont il avait communiqué les prévisions météorologiques. À l'époque de la grande tempête de 1913, l'observatoire météorologique émettait deux bulletins quotidiens, sauf le dimanche. L'enquête souligna qu'il serait utile d'émettre des bulletins sur une base plus fréquente. On avança également l'hypothèse selon laquelle ces lacunes en matière de prévision et de communication expliquaient peut-être pourquoi tant de bateaux s'étaient retrouvés sur les lacs au moment de la tempête. Le rapport de l'enquête indique : « Dans son témoignage, le représentant de l'observatoire météorologique indique qu'à 22 h 30 le 8 novembre, son service savait parfaitement qu'une tempête de force inhabituelle s'apprêtait à s'abattre sur le lac Huron de façon quasi immédiate, mais qu'aucun avis n'a été émis à ce sujet puisqu'on se fiait sur les signaux de tempête qui avaient été installés la veille et qui étaient toujours en place. Il est probable que si les renseignements que détenait l'observatoire météorologique le 8 novembre à 22 h 30 avaient été communiqués par téléphone (ou au moyen d'une communication sans fil, si celle-ci avait été disponible à ce moment), au moins quelques-uns des navires ne se seraient pas aventurés sur le lac alors que la tempête était imminente. »

L'enquête remit également en question le système d'avertissement de tempête utilisé à l'époque. Bien que ce système indiquait la force du vent (p. ex., vent fort, vent violent, etc.) et sa direction, il n'indiquait pas à quel moment la tempête allait débuter. Cette situation posait un problème pour les cargos, en particulier vers la fin de la saison de navigation, lorsque les derniers chargements devaient être livrés, car ni le capitaine ni son équipage n'étaient en mesure de savoir si la tempête allait frapper dans deux heures ou dans deux jours.

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Au fil des années qui suivirent, la grande tempête de 1913 fut à l'origine de plusieurs mythes et légendes, certains ayant peut-être été inspirés de faits véridiques.

L'un des récits les plus populaires a trait aux montres que portaient les victimes dont les corps furent retrouvés sur les rives des Grands Lacs. L'heure indiquée sur les montres de plusieurs corps échoués le long des rives canadiennes et américaines du lac Huron était la même, soit 1 h 25. Il semble que leurs montres se soient toutes arrêtées au même instant, ce qui porte à croire que la tempête était à son paroxysme à 1 h 25 et que c'est à ce moment que de nombreux bateaux auraient coulé dans le lac Huron.

Une autre anecdote célèbre est celle du Charles S. Price et du Regina. Certains marins ont été retrouvés portant des vestes du Charles S. Price et ont par la suite été identifiés comme étant membres de l'équipage du Regina. De cette histoire est né le mythe selon lequel le Charles S. Price et le Regina seraient entrés en collision et que dans le chaos qui suivit, les gilets de sauvetage des deux navires se seraient mélangés. Cette théorie a été réfutée lorsqu'un bateau flottant à l'envers fut retrouvé près de Port Huron, dans le Michigan. Croyant qu'il s'agissait du Regina, un plongeur effectua une mission quelques jours après la tempête et découvrit que ce bateau était en fait le Charles S. Price et qu'il ne comportait aucun signe de collision. Lorsque le Regina fut retrouvé au fond du lac Huron, cette théorie fut à nouveau remise en cause car aucun signe de collision n'était apparent sur sa coque. On croit aujourd'hui que lorsque le Regina se mit à couler, le Charles S. Price se trouvait suffisamment près pour pouvoir sauver certains marins. C'est ainsi que des membres de l'équipage du Regina auraient été retrouvés portant des vestes de sauvetage du Charles S. Price.

L'une des histoires les plus surprenantes de la grande tempête est probablement celle d'un homme nommé John Thompson. Il faisait partie de l'équipage de l'un des tout nouveaux cargos de l'époque, le James Carruthers. Cependant, John était embarqué à bord d'un autre bateau avant la tempête et s'était retrouvé à Toronto au moment où celle-ci s'abattit sur les Grands Lacs. Il n'avait pas informé sa famille de ce fait. Dans les jours qui suivirent la tempête, les journaux locaux publièrent des descriptions des corps qui avaient été retrouvés. La s?ur de John, qui n'avait pas eu de ses nouvelles, lut une description dans le journal qui semblait correspondre à celle de son frère. Croyant qu'il s'agissait de lui, elle téléphona à son père qui se rendit à Goderich pour identifier le corps de son fils. Bien que le corps fut sévèrement meurtri, plusieurs de ses caractéristiques faciales ressemblaient à celles de son fils, les orteils étaient recroquevillés tout comme ceux de John, les mêmes tatouages étaient présents sur le corps et la même cicatrice apparaissait sur la cuisse. La seule différence était que John avait les cheveux foncés, alors que le corps retrouvé avait les cheveux clairs. Le directeur de pompes funèbres attribua cette différence au fait que le corps soit resté dans l'eau glacée, ce qui pourrait avoir altéré la couleur des cheveux. Croyant qu'il s'agissait réellement de son fils, M. Thompson organisa une veillée et des funérailles. De son côté, John apprit son décès en lisant le journal. Plutôt que de communiquer avec sa s?ur ou son père, il décida d'assister à ses propres funérailles et se présenta au milieu de la cérémonie.