Musée Eudore-Dubeau, Université de Montréal
Montréal, Québec

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L'Oeuvre d'Eudore-Dubeau, visionnaire de la médecine dentaire au Canada

 

 

Entrevue avec Dr Morton Lang - résumé de la transcription

Musée Eudore-Dubeau : Tout d'abord, nous aimerions vous remercier, Dr Lang, de nous consacrer ces minutes de votre temps afin de répondre à nos questions. Si l'on remonte au début du 20e siècle, comment évalueriez-vous les soins dentaires au Québec, comparativement aux autres provinces?

Dr Lang : Je dirais qu'à cette période, la dentisterie n'y était pas une profession à proprement parler. Nous pourrions dire la même chose en ce qui concerne les autres provinces canadiennes ainsi que pour les États-Unis. Les différences ont commencé à apparaitre lorsque l'éducation institutionnelle en dentisterie a débuté. L'Ontario a été la première province à mettre sur pied une école dentaire (la University of Toronto's dental school) et le Québec a suivi (avec le département de dentisterie de l'Université du Bishop's college).

Musée Eudore-Dubeau : À cette même époque, comment évalueriez-vous la situation à l'Université de Montréal comparativement aux autres écoles dentaires au Canada?

Dr Lang : Jusqu'en 1904, il n'y avait pas d'école dentaire à l'Université de Montréal ni à l'Université McGill. La seule école dentaire existante au Québec était celle de l'Université Bishop's. Cette dernière était un établissement bilingue qui enseignait autant en français qu'en anglais. Ce n'est qu'en 1904, lorsque l'Université Bishop's a décidé de laisser tomber son école dentaire, que l'enseignement des soins dentaires a été segmenté en deux sections : une section francophone et une section anglophone. Cette dernière s'est associée à l'Université McGill, mais pas à titre de faculté, car la Faculté de médecine de l'Université McGill s'y était opposée. En fait, il s'agissait d'une école de dentisterie. Du côté francophone, l'Université de Montréal n'avait aucun rapport avec la dentisterie à cette époque. À vrai dire, la section francophone de l'école dentaire de l'Université Bishop's s'était affiliée avec l'Université Laval à Montréal. Le Dr Dubeau, qui était alors le directeur de cette école, a fait en sorte qu'elle devienne partie intégrante de l'Université de Montréal et qu'elle devienne une faculté ultérieurement. Plus tard, l'Université Laval a inauguré sa propre faculté de médecine dentaire aux alentours des années 1950 ou 1960.

Musée Eudore-Dubeau : Pourquoi retrouve-t-on des écoles dentaires privées aux États-Unis, mais pas au Canada?

Dr Lang : Au Canada, les services médicaux et de santé relèvent exclusivement du gouvernement fédéral ou provincial. La réalité est tout autre aux États-Unis. Ici, au Canada, nous n'avons pas d'écoles dentaires privées parce que tout est géré par les autorités gouvernementales. Ainsi, la dentisterie y est rigoureusement réglementée, et ce, partout au pays.

Musée Eudore-Dubeau : Au Québec, la dentisterie a officiellement été reconnue comme une profession le 5 avril 1869. Pouvez-vous nous donner des détails à propos du processus concernant cet événement?

Dr Lang : À cette époque, vous pouviez travailler dans un cabinet dentaire où le dentiste vous enseignait la pratique de la profession afin que vous puissiez devenir dentiste vous-même un jour. Après un certain nombre d'années, lorsque vous et le dentiste jugiez que vous étiez prêt, vous pouviez ouvrir votre propre cabinet. À cette époque, une forme de règlementation comme le permis d'exercice n'existait tout simplement pas. L'Ontario a été la première province à insister sur l'importance de créer le Collège royal des chirurgiens dentistes de l'Ontario qui gérait le droit de pratique de la profession. Peu de temps après, le Québec a fait la même chose. Si la dentisterie devait devenir une profession, elle devait être traitée comme tel et non pas comme une simple « transaction ». Il devait y avoir un organisme de réglementation professionnelle exerçant une certaine forme d'autorité. La mise en place de normes encadrant la formation professionnelle était une première étape afin de développer une forme de contrôle. À l'origine, il s'agissait d'une formation de seulement deux ans. Toutefois, lorsqu'on a assisté à l'apparition de l'histologie, de la bactériologie, de la génétique, etc. certains cours ont graduellement été ajoutés au cursus. Par conséquent, au fil des ans, la dentisterie est devenue un programme d'études de quatre ans.

Musée Eudore-Dubeau : Est-ce qu'il a fallu attendre longtemps avant que les médecins reconnaissent et acceptent la dentisterie en tant que profession?

Dr Lang : Oui, absolument. Je dirais que les médecins ont réellement commencé à côtoyer les dentistes il y a seulement une trentaine d'années, environ. Et, à cette époque, je ne dirais pas que les médecins ont commencé à reconnaitre la profession dentaire, mais plutôt qu'ils ont commencé à être moins agressifs dans leurs propos. Pour eux, même si les dentistes se déclaraient être des docteurs, ils n'étaient pas de véritables « docteurs »; ils n'étaient là que pour arracher des dents. De plus, lorsque la pénicilline a fait son apparition, seuls les médecins et les infirmières étaient autorisés à l'administrer, pas les dentistes. En fait, leur argument pour justifier leur opposition à la désignation de docteur pour les dentistes était que nous n'étions pas des professionnels, mais plutôt des « techniciens ». En fait, si l'on regarde attentivement le cursus de la profession à l'époque, nous étions surtout des « techniciens », en fin de compte. Le dentiste perçait, remplissait et facturait.

Musée Eudore-Dubeau : Pouvez-vous nous dire de quelle manière le Dr Dubeau dirigeait son école dentaire? Comment y était l'atmosphère en compagnie de son imposante présence?

Dr Lang : Je pense qu'il avait l'impression que l'école dentaire francophone au Québec était gérée de façon plutôt nonchalante. L'école était affiliée à l'Université Laval, mais celle-ci démontrait peu d'intérêt pour l'entreprise. Même si je ne connais pas très exactement le fond de sa pensée d'alors, je crois qu'il avait l'impression que la faculté et la profession dentaire devaient justement commencer à pratiquer comme une profession à part entière, et non pas d'une façon complètement désordonnée. J'ai entendu dire que certains anciens de l'Université de Montréal avaient confié que le Dr Dubeau était plutôt de nature dictatoriale et qu'il dirigeait l'école selon ses propres règles, comme s'il dirigeait sa propre entreprise privée. D'ailleurs, c'était probablement sa propre « entreprise » puisque personne ne s'y intéressait. L'école elle-même ne s'y intéressait pas vraiment, ni l'Université de Montréal et l'Université Laval a dit quelque chose comme « bon, on va s'en occuper alors », mais au bout du compte, elle ne s'y intéressait pas vraiment. Le Dr Dubeau est celui qui a fait de la Faculté de médecine dentaire de l'Université de Montréal ce qu'elle est aujourd'hui. Il en était son fondateur et un professionnel très impliqué dans le domaine. Avant le règne du Dr Dubeau à l'école dentaire, disons qu'on n'y parlait que de personnes étudiant la dentisterie, point à la ligne.

La situation à l'école de dentisterie de l'Université McGill était relativement similaire : le tout premier doyen a occupé son poste durant une longue période de temps. Toutefois, dans son cas, il relevait directement de l'Université McGill. À l'instar de l'école dentaire de l'Université Laval à Montréal, il a fallu un certain temps avant que l'école dentaire de l'Université McGill soit reconnue à titre de faculté. À l'Université McGill, le premier diplôme était reconnu comme étant une maitrise en chirurgie dentaire et non pas un doctorat en chirurgie dentaire. En fait, la profession médicale ne voulait pas que le terme « docteur » soit discrédité par une « bande de techniciens » qui y serait associé. Évidemment, lorsque l'école est devenue une faculté à part entière, elle a commencé à délivrer le doctorat en chirurgie dentaire.

Musée Eudore-Dubeau : Merci beaucoup pour votre temps, Dr Lang.

Dr Lang : Ce fut un plaisir de vous parler. Si vous avez d'autres questions, n'hésitez pas à communiquer avec moi.

 

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