Musée Eudore-Dubeau, Université de Montréal
Montréal, Québec

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L'Oeuvre d'Eudore-Dubeau, visionnaire de la médecine dentaire au Canada

 

 

Entrevue avec Dr Ralph Crawford - résumé de la transcription

Musée Eudore-Dubeau : Merci, Dr Crawford, d'avoir accepté notre invitation et d'être avec nous aujourd'hui. Nous vous sommes très reconnaissants.

Dr. Crawford : C'est avec plaisir que j'accepte votre invitation. Chaque fois que j'ai la chance de parler de l'histoire de la profession dentaire, je la saisis.

Musée Eudore-Dubeau: Tout d'abord, à titre de première question, pourquoi croyez-vous que la nationalisation de la profession dentaire est devenue nécessaire au début du 20e siècle?

Dr Crawford : Fondamentalement, la problématique remonte à l'époque de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867. Ce document comportait deux articles, les articles 92 et 93, spécifiant que la santé et l'éducation étaient de prérogative provinciale. À cette époque, on réfléchissait aux moyens de pouvoir contrôler les normes en dentisterie. En 1867, l'Ontario a été la première province à constituer une loi qui a normalisé la pratique de la dentisterie et les compétences requises pour l'exercer. Peu de temps après, en 1869, l'Association dentaire de la province du Québec a été fondé afin de donner aux dentistes une façon d'obtenir un permis d'exercice. Ensuite, vers 1900, chaque province et territoire avait sa propre association de dentistes et ils avaient tous un système leur permettant de leur délivrer un permis d'exercice. Le problème était que ces derniers ne pouvaient pas pratiquer leur profession d'une province à l'autre; il n'y avait pas de normes nationales uniformisées en ce qui a trait aux compétences. Conséquemment, on a commencé à étudier la possibilité d'établir un système qui permettrait la reconnaissance des compétences des dentistes d'une province à une autre. On voulait avoir un principe de réciprocité du permis d'exercice.

Musée Eudore-Dubeau : À cette époque, qui a eu l'idée de créer une association nationale? Quels étaient les avantages relatifs à cette association?

Dr Crawford: Le problème grandissant de la reconnaissance des compétences d'une région à l'autre et la nécessité d'un principe de réciprocité ont été les principales raisons justifiant la mise sur pied d'une association nationale. L'une des premières personnes à suggérer l'idée d'une telle association était le docteur montréalais George Bears. Il était l'un des plus remarquables dentistes de sa génération et il était, en fait, le fondateur du tout premier journal dentaire au Canada, le Dominion Dental Journal. En 1889, il a signifié aux autres territoires de compétence que ce principe de réciprocité du permis d'exercice était devenu nécessaire. Également, il y avait un dentiste néo-écossais, le Dr Frank Woodbury, qui était à l'origine de tout le processus tentant de recenser les dentistes à travers tout le pays afin de permettre au système de reconnaissance des compétences d'être chose possible en 1893. Il en demeure que la personne ayant probablement exercé le plus de pression en faveur de cette nationalisation a été le Dr Eudore Dubeau. En fait, en 1902, cette nationalisation s'est concrétisée.

Musée Eudore-Dubeau: Est-ce que l'Association dentaire canadienne (ADC) a la même importance et les mêmes objectifs aujourd'hui qu'à ses débuts?

Dr Crawford : Je le crois. En 1902, comme je le disais plus tôt, les raisons justifiant l'unification des organisations dentaires provinciales étaient d'établir un système permettant la délivrance de permis d'exercice aux dentistes et la mise sur pied d'un code déontologique commun afin que tous les dentistes du pays parlent d'une seule et même voix à cet égard.

Avec le temps, ces éléments sont devenus partie intégrante de l'Association dentaire canadienne. De nos jours, nous avons le Bureau national d'examen dentaire du Canada (BNED) qui donne un caractère commun à la pratique dentaire à travers le pays. Nous avons aussi le Test d'aptitude aux études dentaires (TAED) qui est réalisé et géré par l'Association dentaire canadienne. Je pense qu'aujourd'hui, plus que jamais, l'ADC est axée sur les connaissances; des connaissances mises en commun afin de faciliter le consensus. L'association rassemble les connaissances, elle y contribue, et elle fait part directement à travers le Canada de tous les enjeux touchant la profession.

Musée Eudore-Dubeau : Vous avez déjà été le président de l'ADC. De quelle manière croyez-vous que l'association s'est développée au cours des années?

Dr Crawford : Personnellement, J'ai remarqué que le développement de l'ADC s'est surtout fait en ce qui concerne son rôle de défenseur des intérêts particuliers des dentistes. Ces derniers sont les experts de la santé buccodentaire et l'ADC continue de renforcer cette situation par l'entremise d'activités précises à l'échelon national. Si je compare la situation à ce qui se faisait autrefois, j'ai l'impression qu'il y a une approche plus coopérative de nos jours entre l'ADC et ses membres d'associations provinciales. Je pense que l'ADC a certainement évolué et qu'elle est plus efficace dans son travail à l'échelon national que ce que je croyais au cours des années précédentes. D'ailleurs, nous avons le Mois de la santé dentaire en avril qui représente un événement que tous les canadiens et les canadiennes connaissent. C'est essentiellement l'Association dentaire canadienne qui est à l'origine de cela et qui contribue à faire connaître la présence et l'importance du domaine de la dentisterie auprès de la population.

Musée Eudore-Dubeau: L'ADC a-t-elle contribué à l'évolution de la profession dentaire au cours des années?

Dr Crawford: Il n'y a aucun doute là-dessus. La fondation de cette grande association il y a un peu plus d'un siècle a été une excellente chose et au cours des années, elle a indéniablement aidé tous les dentistes au Canada. À titre de porte-parole nationale de la dentisterie au pays depuis sa création, elle a aidé la profession à maintenir son statut et elle a ensuite aidé à accroître le rôle de la dentisterie dans le domaine de la santé buccodentaire. Si nous analysons certains moments clés de l'histoire de l'ADC, on constate qu'elle travaillait en partenariat avec le gouvernement sur ce qu'ils appelaient les « mesures constructives » afin d'aider le système de santé lors de la période la plus sombre de la dépression économique des années 1930.

Par la suite, il y a eu de nombreux événements qui se sont produits dans le milieu de la dentisterie où l'ADC s'est impliquée afin de parler d'une seule voix sur des sujets comme la fluoruration, le facteur tabagisme, le contrôle des infections, la contamination par le mercure, les enjeux entourant les radiations, les conduites d'eau, etc. Je pense aussi au sceau de reconnaissance que l'Association dentaire canadienne a développé en 1971 et qui est reconnu partout au Canada. Cette petite étiquette qui se trouve sur tous les produits de santé buccodentaire que l'on achète signifie qu'ils ont été inspectés et homologués par le comité d'approbation de l'ADC. L'Association dentaire canadienne a donc contribué à l'évolution concrète de la profession dentaire par son souci de s'assurer de parler d'une voix commune en ce qui concerne tous les facteurs pouvant influencer la santé buccodentaire. De plus, comme je le disais précédemment, l'apport, l'implication et l'influence de l'ADC auprès du gouvernement ont toujours été des facteurs clés contribuant à l'amélioration du statut de la profession dentaire. Lorsque je pense au dossier des droits de douane sur les matériaux dentaires, l'ADC est intervenue. Lorsque l'on a commencé à parler de la TPS au pays, l'ADC était présente et disait « non, non, non! Ça ne doit pas s'appliquer aux professions! ». L'ADC a des relations dans le milieu gouvernemental et ce que je constate davantage aujourd'hui, c'est que le gouvernement écoute. Alors oui, l'Association dentaire canadienne a certainement aidé notre profession à acquérir un meilleur statut au pays.

Musée Eudore-Dubeau: En quoi le Dr Eudore Dubeau a-t-il contribué à créer l'Association dentaire canadienne?

Dr Crawford : Le Dr Eudore Dubeau était une personne absolument extraordinaire, et ce, à plusieurs égards. Il est né à Québec en 1875 et il a obtenu son diplôme en dentisterie à l'Université Bishop's en 1895. Je présume que sa personnalité et ses compétences ont retenu assez rapidement l'attention dans le milieu puisqu'en l'espace de quelques années, on lui a offert de devenir le secrétaire de l'Association dentaire du Québec. Il a été en fonction pendant 23 ans et il s'est servi de ce poste afin d'entamer les démarches entourant l'organisation de la première assemblée nationale des dentistes au Canada. Le Dr Dubeau a écrit une lettre au rédacteur en chef du Dominion Dental Journal, en mars 1902, où il a souligné la nécessité d'une association nationale et il a invité tous les dentistes du Canada à assister à un rassemblement à Montréal en septembre de la même année. J'aimerais vous lire un extrait de cette lettre, car je crois que son contenu est aussi pertinent aujourd'hui qu'il ne l'était il y a un siècle :

«Tout dentiste qui peut s'élever au-dessus des simples affaires régionales ou provinciales dans notre pays et qui a songé aux avantages à tirer de la nationalisation de la profession dentaire doit souscrire sans hésiter à cette idée. Les mandataires officiels de notre profession issus des différentes provinces ont convenu de travailler en vue de donner à la dentisterie un caractère national. L'Association dentaire de la province du Québec a donc entrepris, en collaboration avec un représentant de chaque province, d'organiser une assemblée à Montréal le 16 septembre 1902. Indubitablement, tout dentiste ayant ne serait-ce qu'une once d'esprit nationaliste canadien sera en mesure de saisir toute l'importance d'une telle association non seulement pour la profession, mais aussi pour lui-même. Pensez-y, parlez-en, soyez présents et impliquez-vous.»

Quelle invitation remarquable! Vous devez l'excuser pour son usage exclusif du masculin dans la rédaction de son texte; il y avait très peu de femmes en dentisterie en 1902. Grâce à cette lettre et à l'efficacité de la préparation quant à l'organisation, plus de 20% des 1500 dentistes du Canada se sont réunis à Montréal lors de l'événement tenu en septembre 1902. À cette époque, il s'agissait d'une participation phénoménale, considérant que 800 d'entre eux provenaient de Toronto et 400 de Montréal. Ils provenaient d'aussi loin que la Colombie-Britannique et des provinces de l'Atlantique. En l'espace de trois jours, ces dentistes ont voté une constitution, un code de déontologie, et l'événement marqua le début du Conseil dentaire du Dominion qui définissait les méthodes par lesquelles les dentistes étaient autorisés à pratiquer et les modalités entourant leurs déplacements d'une province à l'autre. Lorsque je pense à la contribution du Dr Dubeau, il s'agit d'un accomplissement tout simplement extraordinaire!

Musée Eudore-Dubeau : Quels étaient les objectifs du Dr Dubeau en fondant une telle association nationale?

Dr Crawford : À l'origine, il ne s'agissait pas de l'idée du Dr Dubeau. L'idée avait déjà germé dans l'esprit des gens qui l'ont précédé. Assurément, le Dr Dubeau connaissait bien le Dr Bears et ce dernier avait déjà mentionné l'idée plusieurs années avant même que le Dr Dubeau devienne dentiste. Alors, faites collaborer ces deux hommes et c'est garanti que le projet avance. Cependant, ce sont les raisons évoquées par le Dr Dubeau qui ont permis de concrétiser ce que ses prédécesseurs avaient tenté de faire par le passé. C'est le leadership du Dr Dubeau qui a permis la concrétisation du projet.

Musée Eudore-Dubeau : Merci beaucoup, Dr Crawford. Ce fut un plaisir de parler avec vous.

 

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