Centre d'histoire la Presqu'île
Vaudreuil-Dorion, Québec

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Gustave Boyer, notable de Rigaud (1871-1927)
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Mon premier discours anglais (1904)

Ceci se passa quelques mois à peine après que je fus élu député pour la première fois. Fort du milieu où j'avais vécu, je me croyais éduqué dans la langue anglaise tout aussi bien que tous les rhéteurs que j'avais entendus avec une patience admirable, durant toute une session.

Il est d'ordinaire, après l'ajournement de la Chambre, pour un député d'un comté rural, de parcourir celui-ci pour rendre compte à ses électeurs de sa conduite parlementaire, mais surtout de celle des autres. J'étais justement à accomplir ce devoir quand un soir ce fut le tour d'une localité anglaise où je possédais de nombreux amis.

La salle était remplie d'électeurs. Plusieurs canadiens français assistaient également.

L'assemblée s'ouvre d'abord par un joli boniment du président, écossais pur sang, qui trouve le moyen de me couvrir de compliments, puis il présente à l'assemblée un orateur anglais. Quand le président m'introduit en second lieu comme l'orateur suivant, j'eus une idée, et preuve que la première idée n'est pas toujours la bonne, je m'avance au bord de l'estrade et sans même la peine de me gourmer je m'adresse en anglais.

Tout le monde reste ébahi!!!!

Durant dix bonnes minutes, je me désarticule la mâchoire de mon mieux, je sus, je gesticule, puis je conclus par une intonation de voix qui du remuer mon auditoire bien profondément, m'attirer bien des sympathies, puisque je fus généralement applaudi dans toute la salle.

J'étais fier de moi, et je me persuadai qu'après tout ce n'était pas si difficile que cela que de pérorer dans la langue de John Bull.

L'assemblée avait pris fin, la foule évacuait la salle et suivant une très louable habitude, les chefs se groupèrent autour de leur député. Ils étaient les derniers à me souhaiter au revoir.

J'étais désireux d'avoir d'eux une appréciation de mon discours anglais.

Eh bien mon cher monsieur W. (un marchand anglais de l'endroit) comment avez-vous apprécié mon discours anglais?

Il me toise en souriant et me répondit :

Je n'ai pas compris un seul mot!

V'lan, me voilà dégommé.

Et toi, Adélard, continuais-je en m'adressant à son voisin pour me donner contenance.

Celui-ci était un canadien français d'origine mais anglicisé jusqu'à la moelle par un séjour continuel depuis son enfance dans ce milieu entièrement anglais.

"Well Mr. Boyer", vous parlez bien l'anglais, seulement vous autres les hommes instruits, vous parlez suivant les "tarmes", ce qui fait que je n'ai pas pu comprendre votre discours.

Ah! Sapristi que je me raisonne, c'est un normand pour sûr, celui-là. Évidemment, il ne veut pas me froisser.

Finalement, devant ces deux témoignages, j'en avais conclus que mon discours avait donné des points à mes électeurs anglais.

Je m'amusai de la chose, car l'accueil si sympathique qu'on m'avait témoigné en autre lieu disait hautement qu'on tenait compte de mon effort et surtout de ma bonne volonté.

Comme j'allais définitivement laisser la salle, un de mes bons amis s'approche de moi pour me presser la main.

Eh bien! Mon cher Barnabé, lui dis-je, sur un ton gouailleur, parce que j'avais déjà sacrifié ma vanité...

Comment trouvez-vous que je parle anglais?

Ah! Monsieur Boyer, monsieur Boyer mais vous parlez bien, mais vous parlez bien.

Je faillis perdre mon sang froid, de joie, mais je me ramassai subitement.

Tiens que je me dis, ce gaillard a une faveur à me demander!

Mais Barnabé repris-je, vous comprenez bien l'anglais, n'est-ce-pas?

Moi! Je ne comprends pas un mot.

Je halai mon chauffeur et je filai à tire d'aile, convaincu, une fois de plus, que pour parler anglais, il faut faire plus que de se "détordre" la mâchoire, il faut l'apprendre.

 

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