Lorsque le Domaine de Sainte-Anne est mis aux enchères en 1890, Mercier acquiert la propriété par le biais de son frère J.A. Mercier. Même s'il possède déjà quatre autres résidences, son domaine de Sainte-Anne l'emplit d'une fierté particulière. Il entreprend d'ailleurs une foule d'améliorations coûteuses au manoir et à la ferme. Mercier considère d'ailleurs que la ferme est à l'image des fermes modèles qu'il promouvait, car outre les bâtiments habituels, la fromagerie et la beurrerie, le domaine possède une grange de brique. L'énorme bâtiment est pourvu d'une bouilloire et d'une machinerie qui active les appareils servant au blanchissage, au battage du grain et au hachage des légumes avant l'ensilage. De plus, trois logements sont aménagés au deuxième étage pour héberger le gardien et les domestiques. Une portion de cette grange fait office d'écurie où il y abrite huit fringantes bêtes à la robe d'ébène, qu'il a fait venir expressément de Belgique. Enfin, la propriété est décorée de jardins splendides dans lesquels coulent des ruisseaux artificiels, que les promeneurs peuvent franchir par des ponts de rocaille. Un coin du jardin accueille aussi une serre, chauffée à l'eau chaude l'hiver.

Les tâches de Premier ministre d'Honoré Mercier l'absorbe à un point tel qu'il n'a guère le loisir de se consacrer à l'entretien de la ferme. Il laisse d'abord ce soin au ménage Ritchie, les anciens propriétaires du domaine, puis il loue les terres cultivables, la fromagerie et une partie de la maison à son frère François-Xavier. Ce dernier s'engage à cultiver les 500 arpents de terre, à soigner les animaux, à entretenir les arbres fruitiers et à exploiter la fromagerie.

La propriété de Sainte-Anne est donc plus qu'une unité agricole de qualité, elle est le lieu tout indiqué pour tenir de grandioses réceptions. Le Domaine Tourouvre, comme il l'a rebaptisé, a été le témoin de fastes réjouissances et même de quelques réunions politiques cruciales. Parmi ces grands moments, le banquet des Zouaves fut très certainement un événement marquant du domaine.

En effet, lors de son passage à Rome, le Pape Léon XIII en profite pour lui remettre une quantité importante de médailles commémoratives et de certificats à remettre aux Zouaves du Canada. Ces hommes sont les représentants des soldats du Pape en Amérique. Ils possèdent une fonction plus symbolique que militaire. Honoré Mercier profite de l'acquisition du domaine pour organiser un banquet. Il y convie d'ailleurs toute l'élite pour honorer ces vaillants hommes.

La fête se déroule les 18 et 19 août 1891. Toute la population de Sainte-Anne-de-la-Pérade se consacre aux préparatifs pour éblouir les invités de marque. Des trains spéciaux de Québec et de Montréal acheminent les deux cent Zouaves ayant répondu à son invitation. L'accueil officiel a lieu à l'église paroissiale et le maire Rousseau leur adresse alors quelques mots de bienvenue. Une fois les formalités achevées, un feu de salve annonce le départ du cortège de Zouaves vers le domaine de Tourouvre. Des lanternes sont suspendues aux arbres tout le long de la rue Sainte-Anne, éclairant le défilé, et une fanfare accompagne leur pas.

Suite au discours d'Honoré Mercier, les convives se sont attablés pour un copieux repas en plein-air. Les préparatifs du banquet ont été confiés à madame Duperrouzel, une restauratrice de Montréal. Elle avait accepté de faire un voyage spécial jusqu'à Sainte-Anne, avec ses marmitons et ses casseroles.

Des feux d'artifices clôturent la soirée, après quoi les Zouaves dressent leurs tentes dans le parc pour la nuit. Le lendemain matin, ils sont éveillés promptement au son du clairon afin d'arriver à temps pour la messe du dimanche matin. Mercier se rend à l'église en carrosse, tiré par deux de ses chevaux les plus racés. Tout le long du chemin, son passage est salué par les acclamations de la foule, probablement dû au fait qu'il a fière allure, ayant revêtu son costume officiel de Comte de l'ordre de Grand Croix.

La remise des médailles suit l'office religieux, puis tous regagnent le Domaine Tourouvre pour prendre part à un fastueux banquet dans le parc. Les festivités se poursuivent jusqu'au soir, où à la lueur des lanternes, tous les convives profitent à nouveau des délices concoctés par madame Duperrouzel. Il s'agit fort probablement de l'une des plus grandes fêtes qu'a connues le Domaine seigneurial.

Pourtant cette fête n'est pas que faste et réussite. Si les journaux rendent compte du côté glorieux de cet événement, certains n'hésitent pas à critiquer ouvertement le Premier ministre. On reproche à ce dernier le coût onéreux de cette cérémonie pour l'État. D'autant plus que de graves rumeurs de détournement de fonds concernant le Parti national commencent à circuler. Lors de la fête, un journaliste hardi sur le sujet aurait questionné Honoré Mercier qui serait entré dans une grande colère et se serait, par la suite, montré d'humeur exécrable avec ses invités. Il est l'objet des railleries des journalistes, qui le ridiculisent de déambuler au cœur de cette fête démesurée fier comme un paon dans son costume d'apparat, alors que son monde menace de s'écrouler.

De plus, un événement regrettable marque la fête. Une jeune fille de Saint-Prosper, mademoiselle Alvina Vézina reçoit au visage la bourre d'un canon. Ces coups de canons n'étaient donnés que pour ajouter à l'atmosphère festive, mais la demoiselle en question en aura le côté droit paralysé à cause dudit canon.

À l'image de tout empire qui connaît son déclin, son parti n'est pas épargné. En 1891, le Parti national est victime de graves accusations de détournements de fonds. Le scandale de la Baie-des-Chaleurs l'accuse d'avoir fraudé près de 60 000$. Une commission royale d'enquête conclue qu'aucune preuve de corruption ne pouvait être faite à l'endroit d'aucun ministre de l'administration de Mercier. Cependant, le tort était fait : le lieutenant-gouverneur avait déjà démis Honoré Mercier de ses fonctions. Aux élections générales de 1892, le Parti national subit une défaite écrasante face aux Conservateurs qui profitent du scandale.

Suite à cette défaite écrasante, Honoré Mercier sera ruiné et forcé à tout vendre. Seul son honneur résistera à cette vague de changements. En effet, son innocence est proclamée en novembre 1892. Cependant le mal est fait, l'homme a tout perdu. Il meurt deux ans plus tard du diabète.

Honoré Mercier

15 octobre 1840 : Naissance d'Honoré Mercier, fils de Jean-Baptiste et de Marie-Catherine Timineur de la paroisse de Saint-Athanase. Le père d'Honoré est cultivateur, mais également un fervent patriote. Il sera d'ailleurs emprisonné à la suite des Rébellions de 1837-38, pour avoir aidé deux Patriotes à s'exiler aux États-Unis à la suite des troubles.

1854 à 1865 : Après des études classiques au collège Sainte-Marie de Montréal, Honoré Mercier complète des études de droit à Saint-Hyacinthe.

29 mai 1866 : Mariage d'Honoré Mercier et de Léopoldine Boivin, qui décède en 1869, peu après la naissance de leur fille Élisa.

9 mai 1871 : Second mariage d'Honoré avec Virginie St-Denis, une union qui produira cinq enfants : Honoré, Héva, Paul-Émile, Iberville et Raoul.

1865 à 1885 : Honoré mène une carrière de journaliste et d'avocat, tout en s'impliquant de plus en plus dans le monde de la politique.

1885 : Fondation du Parti national, qui regroupe libéraux et conservateurs insatisfaits des décisions de leurs dirigeants.

29 janvier 1887 : Le Parti national remporte les élections de 1886 et Honoré Mercier est assermenté Premier ministre du Québec. Il est le neuvième Premier ministre de l'histoire du Québec.

1890 : Honoré Mercier acquiert le Domaine seigneurial Sainte-Anne, qu'il rebaptise Domaine Tourouvre.

1892 : Mercier est destitué du poste de Premier ministre, à la suite des accusations de détournement de fonds qui accablent son parti. En quelques semaines, Mercier vit une chute drastique de l'apogée à la ruine politique. Aux élections de 1892, le Parti national subit une défaite écrasante, ce qui mène à sa désintégration. Honoré Mercier sera par la suite réélu en tant que député de Bonaventure, un poste qu'il conservera jusqu'à sa mort.

1892 : Mercier déclare faillite et le Domaine Tourouvre est vendu aux enchères.

30 octobre 1894 : Décès d'Honoré Mercier, des suites du diabète dont il souffrait depuis plusieurs années.