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Légendes

Les légendes inuit sont des histoires qui ont été transmises de génération en génération depuis des temps anciens. Les parents les racontent aux enfants ou leur chantent des chansons pour les aider à s'endormir. Certains enfants s'endorment vite mais d'autres apprennent silencieusement ces récits et ces chansons.

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Les légendes des Inuit sont basées sur des faits qui se sont réellement passés il y a très longtemps et certains récits contiennent des phrases et des termes très anciens. Les légendes décrivent aussi la culture et l'environnement des Inuit du temps jadis. Elles permettent d'apprendre aux enfants la vie de leurs ancêtres. Certaines légendes mentionnent que des animaux pouvaient prendre la forme d'humains ou avoir une personnalité comme les Inuit. Dans d'autres légendes, les personnages mentionnés chantent leurs propres chansons.

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Chasseur de morse sur la banquise d'Igloolik
1822
Nunavut, Canada
ATTACHEMENT AUDIO
ATTACHEMENT DE TEXTE


Crédits:
McGhee, Robert
Musée canadien des civilisations

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Légende inuit: Un géant qui avait adopté un inuk se battit un jour contre un inugaarulliq pour un poisson
Il était une fois un géant qui avait adopté un inuk. Lorsque le géant aperçut un jour un inugarulliq (un nain légendaire doté de certains pouvoirs) attraper un poisson, il vint à sa rencontre afin d'obtenir quelque chose à manger pour son jeune inuk. Le géant demanda à l'inugarulliq s'il pouvait juste lui donner la queue d'un poisson pour son jeune enfant. L'inugarulliq qui était à la pêche refusa de céder sa prise, ni même le moindre morceau se disant même prêt à se battre. Le minuscule inugarulliq se mit alors à grossir, atteignant bientôt la taille du géant. La bagarre commença et le géant parvint à tuer son adversaire. Mais la femme de l'inugarulliq vint à la rescousse et lorsqu'elle comprit que son mari était mort, elle se mit elle aussi à grossir jusqu'à ce qu'elle atteigne la taille du géant. La bagarre reprit et cette fois le géant se mit à perdre en raison de la forte poitrine de l'inugarulliq qui la rendait difficile à saisir. Le géant aurait même perdu si son fils adoptif, le jeune inuk, n'avait pas sectionné le talon d'Achille de l'inugarulliq. Et c'est ainsi que le géant et le jeune inuk parvinrent à vaincre l'inugarulliq.
Récit de Martha Taliruq.

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Campement de tentes de Paléo-Eskimaux
2005
Haut Arctique, Canada
ATTACHEMENT AUDIO
ATTACHEMENT DE TEXTE


Crédits:
McGhee, Robert
Musée canadien des civilisations

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Début ici de la voix qui raconte l'histoire (1 minute)

Navaranaaq a été adoptée par des Inuit d'un clan différent du sien. Quand le vent soufflait du sud, elle disait qu'à l'endroit où vivait son peuple d'origine, les femmes devaient être seules puisque les hommes étaient partis à la chasse. Son clan d'adoption alla vérifier si les femmes étaient vraiment seules. Toutes les femmes furent tuées, sauf deux fillettes qui se réfugièrent dans des tanières d'animaux, cachées derrière des chiennes avec leurs chiots. Elles s'accrochèrent à un jeune chien pour ne pas être découvertes. Ainsi cachées, les deux fillettes furent épargnées. Il y avait plusieurs iglous et une femme dans un iglou voisin, quand elle réalisa qu'on allait venir la tuer, brûla toute sa literie. Un des assassins enleva la fenêtre de glace de l'iglou et regarda pour voir s'il y avait quelqu'un à l'intérieur en criant : « Où est celle-ci là en bas ? »

La femme saisit sa main et lui mordit le doigt jusqu'à ce que mort s'en suive. Avant de mourir, ce dernier continuait de gémir en disant « Na na na na na », à cause de la douleur. Après avoir tué les femmes, ils prirent tous les enfants y compris les deux jeunes filles qui avaient été jusque-là épargnées et s'en retournèrent avec elles jusqu'à leur camp. Lorsque les enfants, qui furent obligés de marcher, commencèrent à se plaindre de douleurs aux pieds, les hommes se mirent à les torturer en leur pressant le doigt du milieu sur le front jusqu'à ce qu'ils perdent conscience et meurent. Les deux jeunes filles parvinrent à survivre pendant tout le voyage du retour jusqu'au camp. Là, on les prit comme femmes. L'une de ces deux filles avait de très longs cheveux qu'elle coiffait continuellement en faisant des tresses et en les attachant avec des tuglaat (deux longs bâtonnets en bois autour desquels on enroulait les cheveux des femmes et sur lesquels on fixait des morceaux de cuir de caribou avec des décorations en perles). Cette fille était en fait une chamane. Lorsqu'elle s'agenouillait près de son mari, elle soulevait ses tuglaat et collait son oreille sur les parois de l'iglou pour écouter. Son mari lui demandait ce qu'elle entendait. Et elle répondait qu'elle entendait une voix dire qu'on souhaitait la prendre par les tuglaat et l'embrasser. À cette époque, les femmes portaient souvent des tuglaat autour de leurs tresses. Le tuglaaq était décoré avec des morceaux de peau décolorés que les femmes enroulaient autour de leurs tresses. Pendant ce temps, les hommes des clans où les femmes avaient été tuées arrivèrent sur place pour voir qui avait tué leurs femmes. Ils arrivèrent bientôt aux iglous. En approchant des iglous du camp, ils se mirent alors à crier: « N'avez-vous pas Navaranaaq parmi vous? N'avez-vous pas Navaranaaq parmi vous? »
Dès que quelqu'un reconnaissait ne pas avoir Navaranaaq, on le laissait aller et il était épargné. Les hommes continuèrent à procéder de la sorte jusqu'à ce qu'ils arrivent tout près du camp de Navaranaaq. Puis, s'approchant du camp où elle se trouvait, ils crièrent de nouveau: « N'avez-vous pas Navaranaaq parmi vous?, N'avez-vous pas Navaranaaq parmi vous? » Cette fois, Navaranaaq entendit et, s'approchant des hommes, elle répliqua en criant: « Je suis ici ». Lorsqu'elle arriva près des hommes, ses bras se mirent à tourner immédiatement. Et Navaranaaq commença alors à chanter, « Taulugit taliijaqpannga, Inuludgit taliijaqpannga. Pilautaa ipitqui ». Puis, s'en allant en marchant elle se mit à dire, « Voici mon petit oncle, voici mon petit oncle ». Elle commença alors à tomber puis mourut.
Récit de Martha Taliruq.

Fin ici de la voix qui raconte l'histoire

Reste de la légende:

La femme saisit sa main et lui mordit le doigt jusqu'à ce que mort s'en suive. Avant de mourir, ce dernier continuait de gémir en disant « Na na na na na », à cause de la douleur. Après avoir tué les femmes, ils prirent tous les enfants y compris les deux jeunes filles qui avaient été jusque-là épargnées et s'en retournèrent avec elles jusqu'à leur camp. Lorsque les enfants, qui furent obligés de marcher, commencèrent à se plaindre de douleurs aux pieds, les hommes se mirent à les torturer en leur pressant le doigt du milieu sur le front jusqu'à ce qu'ils perdent conscience et meurent. Les deux jeunes filles parvinrent à survivre pendant tout le voyage du retour jusqu'au camp. Là, on les prit comme femmes. L'une de ces deux filles avait de très longs cheveux qu'elle coiffait continuellement en faisant des tresses et en les attachant avec des tuglaat (deux longs bâtonnets en bois autour desquels on enroulait les cheveux des femmes et sur lesquels on fixait des morceaux de cuir de caribou avec des décorations en perles). Cette fille était en fait une chamane. Lorsqu'elle s'agenouillait près de son mari, elle soulevait ses tuglaat et collait son oreille sur les parois de l'iglou pour écouter. Son mari lui demandait ce qu'elle entendait. Et elle répondait qu'elle entendait une voix dire qu'on souhaitait la prendre par les tuglaat et l'embrasser. À cette époque, les femmes portaient souvent des tuglaat autour de leurs tresses. Le tuglaaq était décoré avec des morceaux de peau décolorés que les femmes enroulaient autour de leurs tresses. Pendant ce temps, les hommes des clans où les femmes avaient été tuées arrivèrent sur place pour voir qui avait tué leurs femmes. Ils arrivèrent bientôt aux iglous. En approchant des iglous du camp, ils se mirent alors à crier: « N'avez-vous pas Navaranaaq parmi vous? N'avez-vous pas Navaranaaq parmi vous? »
Dès que quelqu'un reconnaissait ne pas avoir Navaranaaq, on le laissait aller et il était épargné. Les hommes continuèrent à procéder de la sorte jusqu'à ce qu'ils arrivent tout près du camp de Navaranaaq. Puis, s'approchant du camp où elle se trouvait, ils crièrent de nouveau: « N'avez-vous pas Navaranaaq parmi vous?, N'avez-vous pas Navaranaaq parmi vous? » Cette fois, Navaranaaq entendit et, s'approchant des hommes, elle répliqua en criant: « Je suis ici ». Lorsqu'elle arriva près des hommes, ses bras se mirent à tourner immédiatement. Et Navaranaaq commença alors à chanter, « Taulugit taliijaqpannga, Inuludgit taliijaqpannga. Pilautaa ipitqui ». Puis, s'en allant en marchant elle se mit à dire, « Voici mon petit oncle, voici mon petit oncle ». Elle commença alors à tomber puis mourut.
Récit de Martha Taliruq.

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Jadis, différentes familles inuit vivaient dans de nombreux iglous construits les uns à côté des autres. Ainsi lorsqu'on organisait des grandes fêtes et des danses au tambour dans l'un des plus grands iglous, les gens des autres iglous adjacents pouvaient entendre facilement leurs voisins. Un jour, alors que se tenaient une fête et une danse au tambour, une vieille femme aveugle était restée dans son iglou pour s'occuper d'un petit enfant. Lorsque l'enfant se mit à pleurer, la vieille femme aveugle entendit quelqu'un entrer et dire: « Laisse-moi avoir ce bébé ». La femme aveugle tendit le bébé là où elle entendait la voix, mais elle ne réalisa pas qu'elle avait en fait donné cet enfant à un amautalik. Ce n'est qu'au moment où l'amautalik a pris le bébé que la femme aveugle a senti une mauvaise odeur et a dit: « Inuqaa umna ammitpigu ». « Je me demande si j'ai vraiment placé l'enfant dans le dos d'une personne? » J'imagine que l'enfant savait marcher et que la femme aveugle voulait juste s'assurer qu'il n'irait pas dehors. Le jour suivant, comme l'un des deux parents de l'enfant était un chamane, les parents se mirent à suivre les traces de l'amautalik. Arrivant finalement à l'iglou de l'amautalik, ils virent que sa cheminée fumait. Le petit enfant était dehors en train de jouer à fabriquer des blocs de neige avec un ulu. Les parents prirent leur enfant et se mirent à courir avec lui. L'enfant avait déjà sur la tête un pou aussi gros qu'un lemming.
À la même époque que s'est produit ce kidnapping, une fête et une danse avaient été organisées quelque part. Quelques enfants s'étaient du coup trouvés tout seuls dans un iglou. Un amautalik vint ce jour-là dans cet iglou et tua tous les enfants. Après cet incident et tous ces enfants morts, les parents voulurent mieux s'organiser. Ils placèrent ainsi un grand récipient d'eau au-dessus de la porte d'entrée en installant des bâtons des deux côtés de la porte. Ils commencèrent ensuite à chauffer ce récipient d'eau avec la qudliq, une lampe à huile. Et bientôt la marmite d'eau se mit à bouillir. Lorsque la nuit tomba, les parents se mirent à faire du bruit, imitant les enfants. L'amautalik entendit ces bruits et se mit en marche. Mais au moment où il entra dans l'iglou, les parents retirèrent les bâtons qui retenaient la marmite et celle-ci se déversa entièrement sur l'amautalik.

Récit de Martha Taliruq

8

Un corbeau et un canard se disputaient alors qu'ils vivaient ensemble dans le même iglou. Le canard renversa de la cendre noire qu'il avait trouvé derrière une lampe à huile sur le corbeau. Furieux, ce dernier jeta à son tour quelque chose derrière le canard qui prit la fuite. C'est pour cette raison que depuis cet incident, les canards ne peuvent pas marcher.
Récit de Martha Taliruq.

9

ILIMAHARUGJUK
I-li-ma-ha-rug-juk était un cannibale et il avait déjà terminé de manger tous ses voisins. Lorsqu'il s'apprêtait à tuer une autre personne, il demandait toujours à sa femme et à son enfant d'aller lui chercher de la bruyère et du combustible. Il avait aussi une fille mais il l'avait tuée un jour que sa femme et son enfant étaient parti chercher du bois à brûler. À chaque fois, il demandait à sa femme de cuisiner ses victimes et elle n'avait d'autre choix que de s'y plier, étant toujours terrorisée. Pendant que sa femme était donc en train de cuisiner sa fille, celle-ci pleurait à chaudes larmes, surtout du fait qu'elle devait faire cuire les mains de sa fille dans le feu. Lorsque les mains de sa fille commencèrent à se contracter, la mère se mit à pleurer et I-li-ma-ha-rug-juk lui demanda, « Femme, es-tu en train de pleurer? ». Ce à quoi, la mère répondit, « Non ». « Alors pourquoi souffles-tu sur ton nez? » Et la femme de répondre à nouveau: « parce qu'il y a trop de fumée ici ». Finalement, Ilimaharugjuk tua leur enfant et le mangea. Ainsi, quand Ilimaharuguk demanda cette fois à sa femme d'aller chercher de la bruyère et du bois à brûler, elle se doutait qu'elle serait la prochaine à être mangée. Comme elle savait cependant que la famille de son frère demeurait dans un camp voisin, elle décida de s'y rendre en marchant. Ensuite, elle alla tel que demandé, chercher de la bruyère et du bois à brûler pour Ilimaharugjuk. Comme elle avait un manteau en peau de caribou peu volumineux, elle le remplit de poils de caribou, lui donna la forme d'un corps humain et lui dit: « lorsqu'il te poignardera, tu diras 'ouch'». Et elle se mit à courir aussi vite que possible jusqu'au camp de son frère. Quand Ilimaharugjuk poignarda la poupée, celle-ci mit en oeuvre le plan indiqué et dit: « 'ouch'», mais Ilimaharugjuk lui répondit, « Pourquoi fais-tu semblant de dire 'ouch' comme si tu étais une personne? » De son côté, lorsque la femme put rejoindre le camp de son frère, on lui demanda comment elle avait réussi à survivre, s'il elle n'avait pas mangé de chair humaine en même temps qu'Ilimaharugjuk. Elle indiqua qu'elle avait mangé des insectes mais comme ses hôtes ne la croyaient pas, ils lui ouvrirent le ventre. Ils découvrirent en effet une multitude d'insectes dans son estomac qui s'envolèrent immédiatement lorsque son ventre fut ouvert. Et c'est comme cela que les moustiques ont été créés.
Lorsqu'Ilimaharugjuk arriva à son tour au camp du frère de sa femme, les gens se mirent à jouer et à faire de la gymnastique avec une corde attachée aux deux côtés des murs de l'iglou. Quand ce fut au tour d'Ilimaharugjuk de jouer, il se mit à sauter et à tourner, il réussit à tenir à la corde puis à s'en défaire avec succès. Pendant qu'il jouait, les gens commencèrent alors à dire: « I-li-ma-ha-rug-juk, la personne qui mange les humains ». Ilimaharugjuk réagit en demanda qui avait dit cela? Et on lui répondit: « c'est ta femme, Publaligaq ». Laissons-la parler, laissons-la raconter des histoires. Raconté par Martha Taliruq.
Récit de Martha Taliruq.

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Récit de John Killulark:
Voici la vieille histoire de Aplurjuaq qui était un chamane avant l'arrivée des Blancs.
Un jour, pendant l'hiver, trois hommes marchèrent jusqu'à Blueberry Hill Point pour pêcher. Ils vivaient sous l'iglou à Kingujaq et se rendaient régulièrement à Aplurjuaq. Une fois, alors qu'ils étaient à la pêche, ils entendirent le hurlement d'une meute de loups. Ceux-ci étaient si nombreux qu'on ne pouvait les compter. Sur le haut d'une colline, ils aperçurent le nuage de neige poudreuse que provoquait la meute en se déplaçant. Ce nuage s'étendait de Nuvu'tuaq jusqu'à l'endroit où ils se trouvaient. On le voyait bien au-dessus de Blueberry Hill. Devant ce spectacle, les trois hommes savaient que leur vie était en danger. Leurs iglous se situaient loin de là car ils avaient marché pendant un bon bout de temps. Aplurjuaq marchait aussi en boîtant car il ne pouvait plus plier l'une de ses jambes et devait, du coup, marcher très lentement. Comme le hurlement des loups se fit bientôt entendre de plus près, à une distance de marche, Aplurjuaq demanda à ses compagnons: « Qui parmi vous possède un irinaliuti, un pittuqqut (une formule chamanique)? Qui parmi vous est chamane? » Il continua à poser ces questions à ses compagnons mais personne ne possédait apparemment les pouvoirs d'un chamane. Tous n'étaient que des gens ordinaires. Lorsque Aplurjuaq réalisa que personne du groupe ne possédait des pouvoirs chamaniques, il se mit à crier: « Courrez à la maison et ne prenez rien avec vous, pas même un burin ou un couteau à neige. Ne prenez rien avec vous. Je vais vous suivre et serai derrière vous ». Ses compagnons exprimèrent leur mécontentement car ils s'inquiétaient à l'idée de ne rien prendre. Ils avaient peur car cela signifiait qu'ils seraient désemparés et sans rien pour se protéger. Mais ils se mirent à courir. C'était en fait la seule chose qu'ils pouvaient faire. En raison de sa jambe boiteuse, Aplurjuaq s'écroula derrière ses compagnons lorsque ceux-ci se mirent à courir. Il se mit alors à crier: « Ne regardez pas derrière vous, ne regardez pas derrière vous, ne regardez pas derrière vous!» Les autres ne pouvaient déjà plus entendre ses cris, mais Aplurjuaq continuait de hurler: « Ne regardez pas derrière vous, ne regardez pas derrière vous, ne regardez pas derrière vous ».
Ceux qui étaient devant continuaient de courir aussi vite qu'ils le pouvaient, essayant de ne pas se retourner. Il était bientôt évident qu'Aplurjuaq ne survivrait pas car on l'avait bel et bien abandonné derrière où il servirait de pâture aux loups. Mais à la grande surprise des deux hommes, Aplurjuaq parvint à les rattraper. Bientôt, il put même les dépasser alors qu'il s'était pourtant arrêté de courir. Les deux autres hommes, eux, couraient toujours. Mais Aplurjuaq se retrouva bientôt de nouveau derrière. Il se mit alors à répéter les mêmes paroles. Il rattrapa ses compagnons et criait encore « Ne regardez pas derrière vous, ne regardez pas derrière vous, ne regardez pas derrière vous ». Aplurjuaq fut cependant de nouveau distancé par ses compagnons. Cette fois, il se trouvait si loin derrière qu'il ne pouvait plus se faire entendre. Aplurjuaq avait beau crier du plus fort qu'il pouvait, on ne l'entendait plus et ses compagnons couraient de plus belle. Mais une fois de plus, alors que tous s'approchaient maintenant de leur iglou, Aplurjuaq rattrapa ses compagnons, les dépassa, puis il ralentit de nouveau et se retrouva derrière. Ses deux compagnons, eux, continuaient de courir sans s'arrêter, suivant ce qu'on leur avait dit de faire. Ils soupçonnèrent même qu'à chaque fois qu'Aplurjuaq les rattrapait, ce dernier cessait de courir. Finalement, tandis que les deux hommes atteignirent leur iglou, Aplurjuaq était encore loin derrière eux. À leur arrivée, ils ne dirent pas un mot sur ce qui s'était produit. Ils ne savaient pas vraiment ce qu'Aplurjuaq voulaient qu'ils fassent. Et, alors que personne ne croyait plus du tout à ce qu'Aplurjuaq puisse arriver sain et sauf, ce dernier arriva en transpirant. Aplurjuaq ne prononça pas un mot et n'avait même aucune pensée à exprimer sur cette longue fuite qu'ils venaient de faire en raison de cette présence menaçante d'une multitude de loups, si nombreux qu'on ne pouvait les compter. En fait, cette meute de loups existait depuis très longtemps et les gens la voyaient bien avant l'arrivée des Blancs dans la région.
En réalité, lorsque dans sa fuite Aplurjuaq rattrapait ses compagnons, on aurait dit qu'à chaque fois il s'arrêtait de courir. Il est probable qu'il agissait ainsi pour essayer de protéger ses deux compagnons et voir s'ils allaient bien. Des trois hommes, il était le seul à posséder des pouvoirs chamaniques. À chaque fois qu'il se retrouvait derrière, il faisait donc quelque chose pour éloigner la meute de loups et la faire disparaître dans des territoires qui ne sont pas fréquentés par les humains. C'est comme cela que mon père me racontait cette histoire lorsque nous vivions dans la toundra, à Iglurjualik, Atgiria'tuaq, Piqqi'tuaq, et autour d'ici, à Kangirluarjuk.
Pour des raisons qu'on ignore, Aplurjuaq était un chamane et certaines choses lui étaient donc interdites. Selon les contextes, il ne pouvait pas faire certaines choses, comme boire, manger, rester à l'intérieur d'un iglou, etc. Il y a de nombreuses choses qu'un chamane n'a pas le droit de faire. Il se peut que cela s'explique par des promesses antérieures que la personne n'a pas respectées, au moment de son initiation chamanique par exemple.
Aplurjuaq, lui, n'avait le droit de se déplacer qu'en faisant de grandes enjambées (des pas de géant). Dans sa fuite, il ne faisait donc que de grandes enjambées, sans pour autant avoir la capacité de voler. Il avait en fait de nombreux pouvoirs. Il pouvait traverser une rivière par quelques enjambées ou atteindre Qamani'tuaq (Baker lake) d'un seul pas. Il pouvait aussi marcher d'une colline à l'autre en quelques pas. Bien qu'il était chamane, il n'avait pas, contrairement à la plupart des chamanes, la capacité de voler dans les airs. Toutes nos histoires ont une morale, c'est ce que les gens avaient l'habitude de dire. Mais il est vrai que certaines histoires semblent irréalistes.
Merci beaucoup.

John Killulark de Baker Lake, Nunavut.

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Trois Inuit qui voyagent en kajak
1893
Après le Lac Dubawnt, en allant vers la rivière Thélon, Nunavut, Canada
ATTACHEMENT AUDIO


Crédits:
Photographe : Joseph Burr Tyrrell
# PA045354 Archives nationales du Canada

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L'histoire du caribou qui parle en train de traverser la rivière
Il était une fois une fois un caribou qui comme le veut la tradition des caribous, traversait la rivière avec d'autres caribous. Comme on le sait les animaux étaient jadis des humains et voilà qu'en traversant, ce caribou mâle se transforma en une personne qui se mit à poser des questions: « Cette terre, là en face de nous, est-elle habitée? » Le caribou posait la question parce qu'il souhaitait traverser la rivière à la nage. « Mais cette terre en face de nous est-elle vraiment déserte? Ces gens d'en face semblent très silencieux ». Et, comme ce gros caribou mâle n'entendit aucune réponse en provenance de la terre en face de la rivière, il sauta dans l'eau et commença à nager pour rejoindre l'autre rive. Mais en un instant, voilà qu'un kajak fut mis à l'eau et commença à se diriger vers le gros caribou mâle en train de nager. Ce dernier se mit alors à dire: « Attendez juste un petit moment avant de me harponner, attendez juste encore un instant, autrement votre femme n'obtiendra pas du bon gras cet automne ». Le chasseur obéit. Lorsque le gros caribou mâle parvint alors à atteindre l'autre rive, au moment même où il se secoua pour se sécher, il s'exclama ainsi: « Vous ne vouliez pas me harponner, vous ne vouliez pas me tuer et c'est pour cela que j'ai réussi à atteindre le rivage».
Récit d'Elizabeth Tunnuq.

13

Une femme inuit portant un amauti décoré avec des perles
1922
Chesterfield Inlet, Nunavut, Canada
ATTACHEMENT AUDIO


Crédits:
Photo #0998. Cinquième Expédition de Thulé
Musée national du Danemark

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Légende inuit et chant interprété par Martha Taliruq.

« u-n-a-i-ja-ja-i-jaa kiamamma umingmaali a-ji-ja-ajaa-u-ming-maa-l-i-am-naa-immaa amnaimna qimmaqtuvaqlugpa unaijajajijaa a-ijaaijaa ajaaijaijajija jijaa ijaa una ilumaliijaijaa unaijaa aja. Aijaa illumali naliatalii umingmaaijajijaa ajijaa umingmaliamnaa amnaima qimmaqtugvaqluqpaa unaijajija ajaija aijajija jaija unaija ajijaa unaijajijaa. Qiamanna tagalii ajijaijaaja atagaliamna imna amnaima sivituvaglugpa unaiji a-ji-ja-ajaa-u-ming-maa-l-i-am-naa-immaa amnaimna qimmaqtuvaqlugpa unaijajajijaa a-ijaaijaa. Illumali naliatalii ataga ajija ijaa ».

Puis, la personne se retourna mais elle n'offrit pas à boire au chasseur. Dans l'iglou, il y avait en fait de nombreuses personnes mais toutes étaient allongées sur le lit. Le chasseur quitta alors l'iglou sans pouvoir assouvir sa soif, comprenant à cet instant que sa demande ne pouvait être acceptée. S'il avait bu, il serait certainement mort comme toutes ces personnes allongées sur le lit. Toujours assoiffé, le chasseur décida donc de retourner près du lieu où il s'était battu avec le caribou, espérant récupérer son fusil. Mais il s'aperçut que son arme avait changé de place et qu'elle se trouvait maintenant très loin de l'endroit où il s'était battu avec l'animal. Le chasseur se mit alors à reproduire le chant qu'il avait entendu de la personne dans l'iglou.
« u-n-i-ja-ja-i-jaa kiamamma umingmaali a-ji-ja-ajaa-u-ming-maa-l-i-am-naa-immaa amnaimna qimmaqtuvaqlugpa unaijajajijaa a-ijaaijaa ajaaijaijajija jijaa ijaa una ilumaliijaijaa unaijaa aja. Aijaa illumali naliatalii umingmaaijajijaa ajijaa umingmaliamnaa amnaima qimmaqtugvaqluqpaa unaijajija ajaija aijajija jaija unaija ajijaa unaijajijaa. Qiamanna tagalii ajijaijaaja atagaliamna imna amnaima sivituvaglugpa unaiji a-ji-ja-ajaa-u-ming-maa-l-i-am-naa-immaa amnaimna qimmaqtuvaqlugpa unaijajajijaa a-ijaaijaa. Illumali naliatalii ataga ajija ijaa ».

Enregistré par Winnie Owingayak, 2000.
Transcrit et traduit par Sarah Silou pour le Centre du patrimoine inuit en 2005.