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Les assemblées patriotes : le Comité permanent du comté des Deux-Montagnes

La période de 1834 à 1837 est caractérisée par la tenue d'innombrables assemblées populaires autant du côté patriote que loyal. L'année 1834 est plus particulièrement marquée par les assemblées dites résolutionistes, c'est-à-dire en faveur des 92 Résolutions. Les premiers comités de comté sont aussi créés afin d'assurer la communication avec le Comité central et permanent du district de Montréal. D'autres, moins importantes, tels les comités de correspondance et de vigilance, sont aussi formés.

Dans la même veine, c'est le 24 juin 1834 qu'a lieu le premier banquet de la Société Saint-Jean-Baptiste créée par Ludger Duvernay. L'association nationale adopte le tricolore vert-blanc-rouge (en trois bandes horizontales) comme étendard officiel. Ce dernier sera le drapeau des patriotes lors des rébellions de 1837-1838.

Le comté des Deux-Montagnes se montre fort actif en ce qui a trait à l'élaboration des assemblées politiques. Le 21 juin 1832 se tient à Saint-Benoît, sous la présidence du notaire Jean-Joseph Girouard, une assemblée patriote durant laquelle on adopte pas moins de 34 résolutions contre l'abus de concessions de terres par favoritisme et spéculation, et contre les réserves du clergé anglican et des écoles anglaises. Un comité de 30 membres y est aussi formé.

C'est toutefois lors d'une assemblée à Saint-Benoît le 20 mars 1834 qu'est créé le Comité permanent du comté des Deux-Montagnes formé de 80 membres dans toutes les paroisses du comté. Une vaste assemblée loyale se tient ensuite à Saint-Eustache le 14 avril 1834. Organisée par les de Bellefeuille et Globensky, l'assemblée constitutionnelle tombe rapidement sous le contrôle des patriotes qui nomment Joseph-Amable Berthelot à la présidence et Émery Féré au poste de secrétaire. Le clan patriote adopte finalement 4 résolutions promouvant les 92 Résolutions. Parallèlement, leurs adversaires poursuivent leur réunion chez le notaire Globensky adoptant, pour leur part, des motions allant à l'encontre des 92 Résolutions.

L'année suivante, le Comité permanent du comté des Deux-Montagnes se dote d'une Union patriotique le 18 juin 1835, vouée à la défense des intérêts canadiens face aux agressions militaires, judiciaires et administratives du gouvernement. Présidée par le notaire Ignace Raizenne, l'organisation regroupe le notaire Jean-Joseph Girouard (premier vice-président), le marchand Jacob Barcelo (second vice-président), le docteur Luc-Hyacinthe Masson (secrétaire-correspondant), le notaire Félix-Hyacinthe Lemaire dit Saint-Germain (secrétaire) et le marchand Jean-Baptiste Dumouchel (trésorier). Les Irlandais de Saint-Colomban ne sont pas en reste et organisent en ce lieu, le 19 juillet 1835, une réunion où l'on crée la Reform Association, une branche de l'Association de Montréal.

En 1836, une seule assemblée retient l'attention. Elle se déroule à Saint-Benoît le 11 avril 1836 sous la présidence d'Ignace Raizenne. Une douzaine de motions sont adoptées promouvant le gouvernement responsable, le boycotte des produits britanniques et la création de manufactures nationales afin d'aider les entrepreneurs du pays.

Le 1er juin 1837 se tient l'assemblée anticoercitive de Sainte-Scholastique présidée par Jacob Barcelo. Organisé afin de désavouer les résolutions Russell (la réponse de Londres aux 92 Résolutions), ce rassemblement se déroule devant plusieurs centaines de personnes. Le tribun Louis-Joseph Papineau y fait d'ailleurs un discours aux côtés de plusieurs leaders régionaux. De plus, un nouveau Comité permanent du comté des Deux-Montagnes (CPCDM) est créé avec 42 membres. La 2e séance du comité se tient le 22 juin suivant, mais nous n'avons aucun compte-rendu de celle-ci. La 3e séance se déroule à Saint-Hermas le 16 juillet et est présidée par le capitaine Laurent Aubry. C'est à ce moment que l'on fait la lecture de la proclamation du gouverneur Gosford du 15 juin précédent interdisant la tenue d'assemblées publiques. Le 13 août 1837 à Saint-Benoît se tient la 5e séance du comité des Deux-Montagnes durant laquelle le docteur Vital-Léandre Dumouchel, fils aîné du marchand de Saint-Benoît, affirme « qu'il est inutile d'offrir aucune explication au gouverneur relativement à sa conduite publique ; qu'il lui suffit de l'approbation de ses compatriotes et particulièrement de ce comité ». On reconnaît ainsi de plus en plus l'autorité populaire vis-à-vis l'autorité officielle. Graduellement, celle-ci se substitue au pouvoir local (ou régional) entre les mois de juin et novembre 1837. La 6e séance du comité se déroule vraisemblablement le 20 août, mais le lieu nous est inconnu. La 7e séance du CPCDM se tient pour sa part à Saint-Benoît le 3 septembre suivant. Les Girouard, Dumouchel et Barcelo y remettent leurs correspondances respectives avec le secrétaire d'État civil Stephen Walcott. On y annonce surtout qu'à la prochaine assemblée, il y aura réélection des magistrats « destitués de leurs charges pour leur conduite patriotique ».

L'assemblée qui suit et qui se déroule à Saint-Benoît le 1er octobre 1837 est d'une importance capitale. Présidée par Pierre Danis, un cultivateur de Sainte-Scholastique, l'assemblée adopte quelques résolutions dont certaines sont particulièrement significatives. D'emblée, on y jette les bases d'un système judiciaire souverain et d'une milice indépendante. On annonce donc l'élection prochaine de nouveaux juges de paix dans tout le comté. Ceux-ci décideront d'un jugement « suivant l'équité et d'après les impulsions de leur conscience, sans être obligés d'observer les formes et procédés judiciaires ». Ce système judiciaire populaire ira plus loin puisque « la partie ou les parties condamnées par un ou plusieurs juges de paix amiables compositeurs, pourront appeler du jugement devant le comité permanent de comté à la prochaine séance qui suivra le jugement en premier ressort, et la sentence sera définitive ». Le CPCDM constitue donc l'autorité suprême dans la hiérarchie judiciaire émanant lui-même de la volonté populaire. La cinquième résolution prévoit la création d'un corps militaire : « Les réformistes qui ont commencé à s'exercer se formeront dans chaque paroisse en corps de milice volontaire sous le commandement d'officiers élus par les miliciens, et seront exercés au maniement des armes et aux évolutions et mouvements des troupes légères. Des états de ces corps seront transmis de temps à autre au comité permanent qui s'engage à pourvoir ceux des dits corps qui se seront distingués par leur bonne conduite et la meilleure discipline, des armes et accoutrements dont ils pourraient manquer. Les officiers de milice déjà destitués par le gouverneur en chef ou qui le seront par la suite pour cause de patriotisme, seront réélus par les miliciens ».

C'est le 15 octobre à Sainte-Scholastique, sous la présidence de Laurent Aubry, que les notables du comté des Deux-Montagnes procèdent à l'élection des nouveaux juges de paix. Se qualifiant d'« autorité légitime émanant du peuple », le CPCDM réintègre donc dans leurs fonctions les juges de paix destitués plus tôt en 1837 de leur poste en raison de leur patriotisme. À Saint-Eustache, Émery Féré, William Henry Scott, Joseph-Amable Berthelot et Jean-Olivier Chénier sont notamment élus tandis qu'à Saint-Benoît, ce sont principalement Jean-Baptiste Dumouchel, Luc-Hyacinthe Masson et Jean-Joseph Girouard qui ont les honneurs. Il en va de même pour les paroisses de Sainte-Scholastique et Saint-Hermas.

Deux-Montagnes est ainsi à l'avant-garde en ce qui a trait à l'élaboration d'institutions électives à la veille des troubles. Avec les assemblées du 1er et du 15 octobre, le pouvoir est substitué dans Deux-Montagnes, l'autorité gouvernementale n'étant plus reconnue. L'établissement d'un gouvernement parallèle dans le comté des Deux-Montagnes inspire d'ailleurs l'assemblée des Six Comtés, tenue à Saint-Charles le 23 octobre suivant, qui vote une motion inspirée des procédés des Deux-Montagnes.

Les 9e et 10e séances du CPCDM se déroulent à Saint-Benoît respectivement les 22 octobre et 5 novembre 1837. Lors de cette dernière assemblée, le notaire Girouard « annonce qu'il proposera prochainement des dispositions additionnelles pour la meilleure organisation des tribunaux d'honneur et de conciliation établis en ce comté, et qu'il soumettra à ce comité […] un Plan d'administration communale pour ce comté ». On va même jusqu'à proposer la formation d'un Comité de Voies et Moyens « chargé des correspondances qui requerront célérité, sûreté et discrétion avec les autres parties de la province qui se sont organisées pour la défense et la protection du peuple ». Avec ce rassemblement, nous perdons la trace du Comité permanent du comté des Deux-Montagnes.

Le comté des « Deux-Montagnes apparaît, aux dires de l'historien Gille Laporte, le plus jacksonien des comtés francophones, s'appuyant sur des fermiers prospères, épris d'indépendance, méfiants envers les gouvernements centraux et, à terme, plus radicaux dans leurs intentions et plus audacieux dans leurs actions. Cette indépendance envers les pressions extérieures s'exprime d'ailleurs autant à l'endroit de l'administration coloniale qu'envers les injonctions de la direction même du Parti patriote ». Caractérisé par un leadership local fort et indépendant, le mouvement patriote des Deux-Montagnes n'a pas d'égal au Bas-Canada en 1837. « Isolement géographique, mentalité de la frontière, consistance du leadership, importance des enjeux locaux et vigueur du mouvement adverse contribuent à une forte indépendance du mouvement réformiste local qui rayonne en partie sur les comtés voisins de Vaudreuil et Terrebonne ». Deux-Montagnes, véritable « Bas-Canada en miniature », avec son clivage ethnique et ses problèmes économiques, peut être à juste titre qualifié de « République du Nord ».

Les assemblées loyales

Les loyaux du comté des Deux-Montagnes ne sont évidemment pas en reste entre 1834 et 1837. Deux clientèles se retrouvent côte à côte afin de s'opposer conjointement aux projets libéraux des patriotes : d'abord des immigrants britanniques, agriculteurs pour la plupart et de tradition loyale, ainsi qu'un clan seigneurial conservateur, notamment à Saint-Eustache, favorisant l'oligarchie. Pensons aux familles Lambert-Dumont, Lefebvre de Bellefeuille, Laviolette (moins impliquée), Globensky, Mackay, Gentle, etc. L'ouest du comté des Deux-Montagnes – la seigneurie d'Argenteuil – se retrouve, quant à elle, sous le leadership de James Brown, Thomas Barron, Robert McVicar, Donald C. McLean et Moses Davis.

Ce sont d'abord les habitants des cantons de Grenville et Chatham qui se réunissent au village de Grenville le 31 mars 1834 afin de dénoncer les 92 Résolutions qu'ils considèrent inacceptables, sauf quelques exceptions. Les participants attribuent la léthargie économique au manque de loyauté des habitants de la région. Elle approuve de plus la politique du Colonial Office et du gouverneur général. Le 12 avril 1834 se tient à Saint-André un autre rassemblement constitutionnel afin de désapprouver les 92 Résolutions. On s'objecte alors à l'élection des conseillers législatifs et on réclame des mesures afin de préserver leur intégrité décisionnelle. On réitère l'attachement des gens à l'Empire britannique. Une vingtaine de personnes signent l'invitation dont les juges de paix James Brown, Owen Quinn et Thomas Barron, ainsi que les lieutenant-colonel et capitaine de milice Daniel de Hertel et Donald C. McLean.

Une grande assemblée est ensuite organisée à Saint-Eustache le surlendemain par le clan seigneurial eustachois. Devant un millier de personnes, l'assemblée est interrompue à un point tel que les patriotes en prennent le contrôle. La « réunion » loyale se poursuit ensuite chez le notaire Frédéric-Eugène Globensky devant environ 200 personnes. On y adopte cinq résolutions à la suite des discours des orateurs invités tel Aaron P. Hart, avocat de Montréal, pourtant éventuel avocat des patriotes en 1838-1839.

Les loyaux se réunissent ensuite à Chatham le 3 mai 1834. On y affirme que les 92 Résolutions ne sont pas fondées « with very few exceptions ». Le 5 mai 1834, les habitants des cantons de Grenville et Chatham font parvenir à T. Spring Rice, secrétaire aux colonies, une adresse (dont les détails nous sont inconnus) au roi par l'entremise du gouverneur. Ces gens recevront le 4 novembre suivant la réponse de ce dernier, dont nous ignorons aussi le contenu.

Ils se rencontrent de nouveau à Saint-André le 23 décembre 1834 afin de créer la St. Andrews Constitutional Association vouée à la défense des droits des loyaux sujets de sa majesté. Celle-ci adopte sensiblement les mêmes statuts que la Quebec Constitutional Association, créée un mois plus tôt. Une souscription est lancée et on recueille rapidement 170 membres. Les loyaux ne prévoient pas moins qu'une guerre civile si le gouvernement accepte le bien-fondé d'un Conseil législatif.

Le mouvement loyal du comté des Deux-Montagnes ralentit ses activités en 1835 et 1836. Toutefois, en 1837, il a peine à suivre le rythme effréné des assemblées patriotes et ce, « afin de contrecarrer l'image républicaine et radicale que Deux-Montagnes est en train de prendre aux yeux des autorités coloniales ».

En juillet 1837, les notables loyaux de Saint-Eustache rédigent une pétition, publiée dans L'Ami du Peuple le 12 juillet, demandant protection au gouverneur Gosford : « Plusieurs des habitants les plus respectables de Saint-Eustache ont adressé une pétition à son excellence le gouverneur en chef, pour lui demander la protection de l'exécutif, lui exposant que leur vie était continuellement en danger et qu'ils étaient tous les jours menacés de violences sur leurs personnes et sur leurs propriétés. Nous sommes assurés que son excellence prendra les mesures nécessaires pour protéger ces bons citoyens ».

De leur côté, les officiers de milice de la seigneurie d'Argenteuil adressent une déclaration de loyauté aux autorités gouvernementales lors d'une assemblée le 3 août 1837. Enfin, lors d'un rassemblement dans la région d'Argenteuil (Lachute Road et Beech Ridge) le 28 novembre suivant, les constitutionnels, tout en dénonçant violemment l'attitude désinvolte du notaire Girouard, représentant du comté, favorisent la création d'un corps de volontaires ou association mutuelle destinée à se prémunir contre les attaques nocturnes des patriotes. On convient cependant « que la vie des femmes et des enfants, ainsi que les propriétés des rebelles doivent être considérées comme sacrées et sous aucune considération ne devraient être profanées ».

Aux assemblées ordonnées initiées par les « vieux » leaders patriotes se juxtaposent des actes de violence considérables réalisés par des plus radicaux. C'est le cas du charivari politique qui émerge surtout à l'été de 1837.

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Carte du comté des Deux Montagnes
2004
Comté des Deux-Montagnes
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3

Chénier lors d'une assemblée populaire
1953
Saint-Eustache
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4

Lord John Russell
1844

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5

Manifestation contre la proclamation Gosford
27 novembre 1897
Inconnu
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6

Lord Gosford
1850

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7

Manifestation contre Gosford
8 février 1890
Inconnu
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8

Invitation à une assemblée publique
6 mai 1837

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9

Drapeau des patriotes de Saint Eustache
1837
Musée du Château Ramezay à Montréal
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10

Portrait de Mgr Lartique
1850
Presbytère de Saint-Eustache
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11

Assemblée des Six Comtés
1891
Saint-Charles
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12

Papineau lors d'une assemblée publique
10 décembre 2005
Inconnu
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