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L'Association des Fils de la liberté

La radicalisation du mouvement patriote s'effectue d'abord à l'été 1837, à la suite de la réception des résolutions Russell, mais surtout à l'automne en ce qui a trait aux premiers accrochages. Le premier véritable affrontement se déroule à Montréal et oppose les membres des Fils de la liberté et ceux du Doric Club.

Inspirée des Sons of Liberty des 13 colonies américaines lors de leur guerre d'indépendance, l'association des Fils de la liberté est un regroupement politique et militaire formé de jeunes patriotes peu présents sur la scène publique avant novembre 1837. Elle est, en quelque sorte, la branche jeunesse du Comité central et permanent du district de Montréal dont Chevalier De Lormier et George-Étienne Cartier assurent notamment les liaisons. L'association est fondée lors d'une assemblée tenue à l'hôtel Nelson de Montréal le 5 septembre 1837 devant 500 à 700 partisans. Elle est divisée en deux sections : l'une civile sous la présidence de l'avocat André Ouimet, et l'autre militaire, dirigée par le « général » Thomas Storrow Brown, qui est calqué sur la milice. Pour cette dernière, la ville de Montréal est ainsi subdivisée en six sections (dirigées par six brigadiers), elles-mêmes subdivisées en compagnies de 50 hommes sous les ordres d'un capitaine. L'organisation est principalement urbaine, mais possède quelques assises en milieu rural. Ainsi, selon Laurent-Olivier David, le notaire Joseph-Amable Berthelot aurait formé une branche des Fils de la liberté à Saint-Eustache.

Le 4 octobre 1837, les Fils de la liberté signent un manifeste adressé aux « Jeunes gens des colonies d'Amérique du Nord » afin de dénoncer la mainmise de l'Angleterre sur ses colonies d'Amérique du Nord. S'exerçant à la discipline et aux manoeuvres militaires, l'organisation se prête volontiers aux parades dans les rues de Montréal. Ces démonstrations publiques ne sont évidemment pas sans créer une certaine animosité entre ces jeunes patriotes et les partisans constitutionnels.

Le Doric Club

Les premiers balbutiements du Doric Club remontent au 15 décembre 1835 lors d'une assemblée tenue par ses membres à l'hôtel de John Orr à Montréal devant 30 à 40 personnes. Ces jeunes loyaux prônent donc, à l'inverse des patriotes, la défense des intérêts britanniques au Bas-Canada. Le 16 mars 1836, les gens du Doric Club publient eux aussi un manifeste dans lequel ils expriment leur soutien à la cause constitutionnelle. On perd ensuite les traces de l'organisation jusqu'au 6 novembre 1837.

L'escarmouche du 6 novembre 1837

Les esprits sont donc gonflés à bloc à la suite de la tenue de l'assemblée des Six Comtés tenue à Saint-Charles le 23 octobre 1837, parallèlement à celle présidée par Peter McGill sur la Place-d'Armes à Montréal. C'est dans ce contexte bouillant, comme à tous les premiers lundis de chaque mois, que les Fils de la liberté planifient de s'assembler le 6 novembre. L'affrontement était inévitable puisque la veille, le Montreal Herald appelait les loyaux à se rassembler le lendemain (6 novembre) sur la Place-d'Armes afin de « tuer la rébellion dans l'oeuf ». Les jeunes patriotes se réunissent néanmoins à l'auberge Bonnacina de Montréal, située sur la rue Notre-Dame. Devant 500 à 600 personnes, l'assemblée adopte douze résolutions. Plusieurs orateurs s'y succèdent, dont Amury Girod, Edmund B. O'Callaghan, et Édouard-Étienne Rodier. Les discussions se tiennent dans la cour de l'auberge qui donne sur la rue Saint-Jacques – la « rue du sang » (en référence à l'élection du 21 mai 1832) – où se trouve déjà quelques-uns de leurs adversaires. À leur sortie, les Fils de la liberté mettent rapidement leurs opposants en fuite. C'est d'ailleurs à son retour chez lui que Brown est durement assailli par quelques bureaucrates. Il est blessé à un oeil tandis que De Lorimier reçoit une balle à une cuisse. D'autres échauffourées du genre se déroulent un peu partout dans les rues de Montréal. Sur la rue Sainte-Thérèse, les bureaux du Vindicator sont saccagés.

À la suite de l'escarmouche du 6 novembre 1837, on dénombre une douzaine d'arrestations dont André Ouimet et George de Boucherville. Avec ce « début » de rébellion ouverte, ou de guerre civile, Colborne ordonne entre autre au 24e Régiment de quitter Kingston et de prendre quartier à Carillon, à l'extrême ouest du comté des Deux-Montagnes.

La victoire des patriotes à Saint-Denis (23 novembre 1837)

Situé sur la rive est de la rivière Richelieu, à environ 25 kilomètres au sud de Sorel, le village de Saint-Denis est reconnu pour être un des châteaux forts de la cause patriotique; le docteur Wolfred Nelson, important leader patriote, y habite d'ailleurs depuis quelque temps.

Le 22 novembre 1837, l'armée de Sir Charles Gore arrive à Sorel par le bateau à vapeur St. George. Le but de l'expédition est de rejoindre les troupes du colonel Wetherall, parties de Chambly, pour attaquer le village de Saint-Charles, réputé pour être le bastion de la résistance patriote dans la vallée du Richelieu. Le soir venu, Gore convient de marcher sur Saint-Denis où il croit ne devoir faire face qu'à un faible détachement de patriotes. Le départ est donné vers 22h00 sous une pluie glaciale. Gore a sous son commandement les compagnies de flancs du 24e Régiment, une compagnie légère du 32e Régiment, un détachement de la Royal Artillery et un détachement de la Royal Montreal Cavalry. À Sorel, l'armée s'adjoint une compagnie du 66e Régiment pour un total de 300 soldats réguliers. Ils sont aussi accompagnés par le shérif Édouard-Louis-Antoine Juchereau-Duchesnay et par le magistrat Pierre-Édouard Leclère, détenteur de mandats d'arrestations contre certains chefs patriotes, dont Papineau, O'Callaghan et Nelson, qui se trouvent à Saint-Denis.

Désirant surprendre les rebelles à leur réveil, l'armée britannique arrive aux portes de Saint-Denis au matin du 23 novembre. Les soldats de Gore sont cependant trempés, gelés et épuisés en raison du mauvais temps qu'ils ont dû subir durant leur marche. De leur côté, les rebelles de Saint-Denis, sous les ordres du docteur Wolfred Nelson, sont déjà sur le qui-vive. Les hostilités débutent vers 9h00. Il y a alors au village 200 patriotes armés de fusils dont la plupart sont en mauvais états. Papineau est présent au village au début de l'affrontement, mais quitte en direction de Saint-Hyacinthe en compagnie d'O'Callaghan.

En plus d'occuper une douzaine de maisons le long de la Grand-rue qui longe la rivière, les insurgés ont érigé une barricade devant leur principale forteresse, l'imposante maison de pierre de la veuve Saint-Germain. Une trentaine d'hommes sont aussi postés autour de la distillerie de Nelson, le long du chemin derrière le village, et derrière différentes granges. La stratégie de Gore est simple: diviser ses troupes en trois détachements : la première se dirige le long de la rivière, la deuxième continue sur la route face au village tandis que la troisième se doit d'aller vers la gauche, dans les champs, dans le but de prendre les insurgés à revers. Au fur et à mesure que la troupe du centre avance sur la Grand-rue, deux hommes sont abattus par les tireurs patriotes. Par ailleurs, trois canonniers britanniques sont touchés avant qu'un quatrième puisse allumer le canon. D'un peu partout, des groupes de rebelles viennent prêter main-forte aux gens de Saint-Denis si bien que le nombre d'insurgés augmente toute la journée.

Durant plusieurs heures, l'armée bombarde la maison fortifiée, mais sans dommage appréciable. Entre-temps, un détachement de patriotes, qui se doit de conduire le lieutenant George Weir alors prisonnier, tue celui-ci durant une tentative d'évasion. Vers 14h00, voyant les réserves de poudre et de munitions diminuées, Nelson envoie George-Étienne Cartier à Saint-Antoine afin de ramener des munitions. Après une traversée laborieuse du Richelieu, il revient avec des renforts de Saint-Antoine, Contrecoeur, Saint-Ours, Saint-Roch et Verchères. Ce sont ces renforts qui font pencher le sort en faveur des patriotes. Malgré la tentative d'encerclement par la gauche du village, les soldats sont repoussés par un détachement de patriotes de Saint-Antoine dirigé par André Beauregard. C'est la « compagnie des bâtons de clôture » qui, maniant leurs bâtons de façon à faire croire qu'ils sont bien armés, arrive à repousser ces derniers.

Gore doit prendre une décision. Ses soldats, épuisés par leur marche depuis Sorel avec leurs vêtements mouillés et gelés sur le dos, le froid glacial qui ne les favorise pas, sans compter les munitions presque épuisées, ne font pas le poids devant les excellents tireurs patriotes. Ainsi, après sept heures de combat, il décide de se replier dans l'ordre et de retraiter à Sorel. C'est avec regret que Gore, un vétéran de Waterloo, laisse sa seule pièce d'artillerie aux rebelles. Les patriotes de Wolfred Nelson remportent donc la bataille de Saint-Denis.

Selon Amédée Papineau, les troupes essuient une soixantaine de morts, mais les chiffres officiels diffèrent. Selon l'historienne Elinor Kyte Senior, on dénombre 6 morts, 10 blessés et 6 disparus. Chez les patriotes : 12 morts et 7 blessés. Parmi les plus importants se trouve le fougueux député de Vaudreuil Charles-Ovide Perrault qui s'éteint à l'âge de 28 ans. Pour ce qui est des blessés, peu importe leur camp, ils sont soignés avec respect par les médecins patriotes dont Nelson lui-même. Après la victoire de Saint-Denis, les autorités gouvernementales sentent pour la première fois qu'elles n'ont pas le parfait contrôle de la situation. La bataille du 23 novembre 1837 à Saint-Denis est la seule victoire des patriotes lors des rébellions de 1837-1838. En effet, Gore revient le 2 décembre suivant pour incendier le village qui n'oppose plus aucune résistance.

La bataille de Saint-Charles (25 novembre 1837)

Le 18 novembre 1837, Thomas Storrow Brown, général des Fils de la liberté, arrive à Saint-Charles et s'installe au manoir Debartzch qu'il transforme en quartier général. À la suite de la bataille de Saint-Denis, le général Brown demeure sur le qui-vive les 23 et 24 novembre.

Pendant ce temps, les troupes régulières du lieutenant-colonel George Augustus Wetherall se reposent à Saint-Hilaire, notamment au manoir du seigneur de Rouville. Elles se composent de quatre compagnies des Royaux, de deux compagnies du 66e Régiment, des grenadiers, d'un détachement d'artillerie et quelques membres de la Royal Montreal Cavalry. En tout, un peu plus de 400 hommes.

À Montréal, John Colborne, au courant de la défaite de Gore à Saint-Denis, envoie une dépêche à Wetherall le sommant de regagner Montréal sans attaquer Saint-Charles. Les patriotes de Pointe-Olivier interceptent alors tout courrier dans leur région, tant et si bien que l'ordre de Colborne destiné à Wetherall ne se rendra jamais à destination. De son côté, Wetherall, sans nouvelle de son supérieur, décide de son propre chef de se mettre en marche en direction de Saint-Charles, après deux jours de repos à Saint-Hilaire.

Brown positionne quelques dizaines d'hommes sous la supervision de Bonaventure Viger dans les avant-postes à environ 5 kilomètres au sud du village Saint-Charles. À la venue des troupes, ils sont chargés de ralentir leur marche en détruisant les ponts derrière eux. Au camp armé, le docteur Henri-Alphonse Gauvin occupe le manoir Debartzch avec 116 hommes. Pour sa part, André-Augustin Papineau, frère du chef patriote, distribue six balles par combattant. Une soixantaine de guetteurs sont aussi positionnés dans différents bâtiments. Bref, les effectifs de Brown à Saint-Charles s'élèvent à environ 200 à 250 insurgés.

L'armée de Wetherall arrive aux portes de Saint-Charles le 25 novembre vers midi. À l'approche des troupes, plusieurs tirailleurs patriotes quittent leurs avant-postes et retraitent au village. Brown fulmine et retourne lui-même positionner ses hommes au front. À son retour au village, le cheval de Brown trébuche projetant au sol son illustre cavalier. Frappé par la platine de son fusil, Brown demeure au sol quelques instants, complètement sonné. Après avoir retrouvé ses esprits, il ordonne à Rodolphe DesRivières de placer ses hommes dans les champs à l'est du village. Après deux heures de combat sans effets importants, Wetherall décide de passer à l'offensive. Il ordonne notamment aux hommes du Royal Scots de mettre leurs baïonnettes au bout de leurs fusils et de charger le camp patriote. Ils pénètrent donc les retranchements en chargeant leurs adversaires qui ne sont pas préparés à un combat corps à corps. Les résultats sont sanglants.

Selon le lieutenant-colonel Wetherall, on dénombre 56 cadavres dans le camp patriote, sans compter les corps calcinés, en plus des 16 prisonniers. D'autres sources mentionnent une trentaine de pertes chez les patriotes, trois morts chez les Britanniques, dix hommes grièvement blessés et huit légèrement. Le village de Saint-Charles est en grande partie incendié. Pour sa part, le manoir du seigneur Debartzch est épargné, mais son extérieur grandement abîmé.

Une rumeur persistante veut que le général Brown fuit le champ de bataille au milieu de l'affrontement. En fait, il se trouve non loin de l'église paroissiale durant le combat décisif. Il tente en vain de former des groupuscules de quatre à cinq hommes afin de rallier les plus hésitants. Toutefois, « voyant que tout espoir s'est évanoui, [il] fait faire demi-tour à son cheval et […] part au gallot rejoindre Nelson ».

La défaite des patriotes à Saint-Charles met fin à la campagne au sud de Montréal en 1837. Le seul autre important foyer de résistance se trouve au nord de Montréal, dans le comté des Deux-Montagnes. Colborne s'y rendra lui-même personnellement afin d'y rétablir l'ordre.

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Carte géographique des batailles en 1837
1840
District de Montréal
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Un vieux de '37
1887

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Affrontement du 6 novembre 1837
1 février 1890
Montréal
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5

Affrontement du 6 novembre 1837 (2)
1907
Montréal
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6

Mandat d'arrestation contre Papineau
1837

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7

Wolfred Nelson
1848

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8

Bataille « idéalisée » de Saint Denis
1885
Saint-Denis
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9

Thomas Storrow Brown
1862
Inconnu
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10

Retranchement aux environs de Saint Charles
1840
Saint-Charles
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11

Bataille de Saint Charles
1840
Saint-Charles
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12

Bataille de Saint Charles (2)
1900
Saint-Charles
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