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Situé à l'embouchure de la petite rivière du Chêne et aux abords de la rivière des Mille-Îles, le village de Saint-Eustache est véritablement le centre d'activités socio-économiques du comté des Deux-Montagnes, mais aussi de tout le nord de l'île de Montréal, à l'aube des événements de 1837. À partir de la fin du XVIIIe siècle, on observe l'établissement d'un noyau de commerçants, d'artisans et de professionnels, qui se forme autour de la place publique du village constituée du manoir seigneurial de la famille Lambert-Dumont, de l'église, du presbytère et, plus au nord, par le petit moulin.

Vers 11h15, on sonne le tocsin au village qui annonce l'arrivée de l'ennemi. Les vigiles patriotes ont aperçu les volontaires loyalistes de Globensky et de Leclère de l'autre côté de la rivière croyant voir l'armée régulière de Colborne. Chénier, à la tête de 150 hommes selon les uns et de 300 selon les autres, se rend à la rencontre des volontaires sur la glace. Les insurgés ont à peine le temps de tirer quelques coups de feu sur leurs ennemis qu'ils reçoivent la mitraille projetée par les canons des artilleurs de Colborne, alors situés à moins d'un kilomètre du village sur le chemin de la Grande-Côte. La retraite se fait aussitôt vers le village où la panique s'installe. Dès la vue des troupes, plus de la moitié des effectifs patriotes quitte le champ de bataille. Il ne reste tout au plus 250 à 300 combattants, dont la moitié sont armés. Girod et Chénier placent donc leurs hommes dans le couvent, le presbytère, l'église et le manoir seigneurial qui forment ensembles la meilleure (et la seule) infrastructure de défense digne de ce nom tandis que d'autres se postent dans la maison du député Scott et dans d'autres demeures avoisinantes.

Tentant de retenir les fuyards tout en allant chercher des renforts, Girod part à cheval en direction de Saint-Benoît où il est reçu en déserteur par le notaire Girouard et les frères Masson. Quoi qu'il en soit, cerné par une patrouille de volontaires loyalistes à Pointe-aux-Trembles trois jours plus tard, il se suicide d'une balle dans la tête.

À Saint-Eustache, Chénier, qui a pris les commandes des insurgés, discute un moment avec Chevalier De Lorimier qui lui conseille fortement de chercher son salut dans la fuite. Chénier s'y refuse obstinément. Selon l'auteur Laurent-Olivier David, De Lorimier lui aurait alors tendu ses deux pistolets en lui disant : « Vous en aurez besoin ». La délégation des Fils de la liberté, qui était arrivée à la mi-novembre, quitte Saint-Eustache à ce moment en direction des États-Unis.

Pour sa part, Chénier se barricade lui-même dans l'église avec, on croit, une soixantaine d'hommes. En réalité, les plus fervents patriotes forcent les moins téméraires à pénétrer dans le temple sacré afin de participer au combat qui s'annonce. À ses compatriotes qui se plaignent qu'ils n'ont pas d'armes pour combattre l'ennemi, Chénier leur répond froidement : « Soyez tranquille, il y en aura de tués et vous prendrez leurs fusils ». Vers midi, le village entier est encerclé sur cinq kilomètres par l'armée britannique. Pendant une heure, on poursuit le bombardement sur les principaux édifices où sont retranchés les insurgés, mais sans résultat significatif. L'étau se resserre graduellement sur les patriotes. À une heure, Colborne fait placer un de ses obusiers dans la Grand-rue dans le but d'enfoncer les portes de l'église. Toutefois, avec un feu nourri des patriotes, les artilleurs doivent se replier où la rue fait un coude. Peu de temps après, la canonnade fait place à la fusillade. Un groupe de soldats dirigé par le lieutenant Ned Wetherall (fils du lieutenant-colonel George A. Wetherall) réussit à pénétrer dans le presbytère et à y mettre le feu en renversant un poêle. Par la suite, le même sort devait attendre le couvent et le manoir seigneurial sous lequel on capture quelques insurgés.

Il ne reste plus que la gigantesque église qui résiste toujours à l'ennemi. Passé de justesse entre le feu des rebelles, un groupe de soldats, sous les ordres des lieutenants Daniel Lysons, A. H. Ormsby et Barthelemy Gugy, qui sera d'ailleurs grièvement blessé, réussissent à pénétrer dans l'église par la sacristie. Essuyant quelques coups de feu de la part des rebelles au jubé, ils allument rapidement un feu derrière l'autel et en peu de temps, les ornementations du temple catholique prennent feu. Se tenant pour la plupart dans le jubé, les rebelles qui veulent fuir n'ont d'autres choix que de sauter par les fenêtres (les escaliers du balcon ayant été préalablement détruits par ordre de Chénier pour empêcher la fuite).

Voyant que tout espoir est perdu, Chénier réunit ses principaux « lieutenants » et saute à travers une fenêtre de l'église. En mettant les pieds au sol, dans le cimetière situé entre l'église et le couvent, la plupart des patriotes sont immédiatement atteints de projectiles et Chénier est du nombre. « Il reçoit une première balle sous les côtes dans son flanc gauche, mais réussit tout de même à franchir une certaine distance en courant sous le feu des soldats. Il est touché une seconde fois et il succombe derrière le cimetière non loin du couvent ». Il y a plusieurs versions de la mort de Chénier qui varient selon les historiens. Quoi qu'il en soit, sa mort met fin à plus de quatre heures de combat intensif. Il est le deuxième chef patriote à mourir au combat après le député Charles-Ovide Perrault lors de la bataille de Saint-Denis.

Vers 16h30, le village de Saint-Eustache est en proie aux flammes. Les volontaires loyalistes et les soldats réguliers sont responsables de l'incendie d'une soixantaine de maisons au village. La plupart des résidences de Saint-Eustache sont victimes du pillage par ces derniers. Le total de patriotes morts au combat s'élève à 70 (ou plus) et une quinzaine de blessés, tandis que du côté des Britanniques : un mort au combat et huit blessés dont deux qui succomberont à leurs blessures, selon les sources militaires officielles. Les blessés, tant patriotes que britanniques, sont amenés dans l'auberge de William Addison, transformée pour l'occasion en hôpital de fortune.

Le soir venu, George Bell, un officier du Royal Regiment, erre dans le village en flammes où, selon ses propos, « les blessés, dont un grand nombre étaient en train de rôtir vivants, poussaient des cris perçants. Les soldats s'employaient à abattre des maisons pour empêcher le feu d'atteindre l'hôpital ». Ce même Bell découvre alors un insurgé « dont le bras avait été fracassé par la mitraille au-dessus du coude. Des soldats étaient sur le point de l'achever lorsque j'arrivais. Il criait grâce, et le sang coulait à flots de sa blessure. Je retirai le lacet d'un de mes mocassins, que je serrai autour de son bras, ce qui arrêta l'hémorragie. On l'amputa la nuit même, et je crois que l'homme s'est rétabli ».

Pour ce qui est des prisonniers, ils sont un peu plus d'une centaine lors de cette journée, mais d'autres le seront dans les jours subséquents. Ils sont momentanément incarcérés dans le hangar de pierre d'Émery Féré situé au coin des actuelles rue Saint-Eustache et du Moulin. Ils sont gardés par leurs concitoyens du St. Eustache Loyal Volunteers. La nuit tombée, des soldats pillent les maisons laissées vacantes. Celle de Joseph Dorion, située en face de l'église, est l'une des premières à être visitées. On y découvre une quantité appréciable de boeuf que les patriotes ont salé dans le but de passer l'hiver. Pour la nuit, l'état-major de Colborne prend ses quartiers notamment dans les résidences des Globensky et des De Bellefeuille sur la Grand-rue.

Jusqu'à cette triste journée du mois de décembre 1837, Saint-Eustache, aux dires de la Gazette du 16 décembre 1837, « était un centre social et intellectuel qui n'était devancé que par Montréal, Québec et Trois-Rivières ». Le joli village qu'il était allait conserver à jamais les nombreuses cicatrices infligées par les hommes du « vieux brûlot » lors de la célèbre bataille du 14 décembre 1837.

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L'armée se déploie autour de Saint Eustache
7 janvier 1888
Saint-Eustache
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L'armée positionne l'artillerie
16 novembre 1887
Saint-Eustache
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Carte de la bataille de Saint Eustache
1837
Saint-Eustache
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Les patriotes prennent leur position
1933
Saint-Eustache
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6

Chénier à la tête de ses hommes
1921
Saint-Eustache
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Les patriotes allant se barricader dans l'église
1924
Saint-Eustache
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Jean Olivier Chénier
1887

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Le docteur Chénier à la tête des insurgés
14 janvier 1888
Saint-Eustache
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La fuite d'Amury Girod
21 janvier 1888
Saint-Eustache
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11

Suicide de Girod
21 janvier 1888
Montréal
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12

Chénier donne quelques conseils à ses hommes
5 juillet 1890
Saint-Eustache
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13

Patriotes tirant sur l'armée
1972
Saint-Eustache
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14

Trois insurgés dans une maison en flammes
1953
Saint-Eustache
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