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Département de la recherche
Par Ane Robillard

Au cours des années 1950 et 1960, on a mené de nombreuses études. En 1951, on a effectué des recherches sur les facteurs biologiques sous-jacents à la schizophrénie. Ces recherches étaient financées par une subvention nationale pour la santé, et supervisées par des professionnels de l'Université de la Saskatchewan, à Saskatoon. L'hôpital de Weyburn constituait un service auxiliaire dans le cadre du programme de recherche.

1954 - On a mené des recherches pour déterminer la réponse psychologique au LSD (acide lysergique), auprès d'un groupe important de volontaires. Les membres de l'équipe de recherche tentaient de déterminer la présence d'un agent biochimique qui, selon eux, constituait dans une large mesure la cause de la schizophrénie. D'après cette hypothèse, un organisme soumis à un stress tant mental que physique fabrique la substance responsable des comportements étranges associés à la schizophrénie. Il fallait avoir recours à des volontaires pour créer un modèle. Plusieurs membres du personnel se sont portés volontaires : Murray Cathcart a été le premier à prendre la drogue, Chuck Jillings, Bill Ving, Hugh McDonald, Bruce Robertson, David Slator, Claire Blake, Bill Munn, Joe Harvey, Elaine Sinclair, Leyta Minogue, Pat Saunders, Jean Baker et Marion Brownlee.

1955 - Des études psychologiques ont porté sur l'étude de la constance perceptive des patients schizophrènes. On a mené des recherches sur les hallucinogènes et effectué des essais cliniques de nature psychologique, biochimique et thérapeutique, ainsi que des essais cliniques de base et des études de suivi.

1957 - Des recherches sociologiques ont été effectuées sur deux aspects différents :
1) Qu'était-il advenu des patients schizophrènes après qu'ils eurent obtenu leur congé?
2) Quel est l'effet de la structure environnementale sur la réaction des personnes en proie à des troubles de la perception?

1958 - On a mené une étude pilote sur le traitement des alcooliques au moyen du LSD.
Francis Huxley a mené une étude anthropologique de l'hôpital, financée par une bourse du Commonwealth. Les études sur la perception ont été élargies, on a effectué des recherches sur la « déculturation » et sur les drogues. Au cours de l'été, les prélèvements sanguins conservés dans la glace ont été envoyés à l'université pour les besoins de différents chercheurs.
Le service du personnel a effectué des recherches sur les congés de maladie, qui ont démontré que les infirmières psychiatriques ne se prévalaient pas plus souvent des congés de maladie que les autres employés du gouvernement.

1959 - Treize articles ont été publiés dans des revues scientifiques. En plus de l'étude sur les schizophrènes, un grand nombre d'études pratiques mais d'envergure limitée ont été menées afin de documenter l'utilisation efficace de l'espace pour la promotion de relations interpersonnelles saines. On a examiné attentivement les plans d'étage, l'agencement des couleurs et ainsi de suite.
La schizophrénie, les états de démence sénile, l'anxiété et la dépression constituaient les quatre grandes sphères de recherche. Selon l'hypothèse de départ, la schizophrénie était causée par une perturbation dans le métabolisme de l'adrénochrome.

1960 - On a mené des recherches sur les trois principales maladies requérant une hospitalisation, soit la schizophrénie, la démence sénile et l'alcoolisme. On a utilisé la niacinamide et l'acide nicotinique dans le traitement de la schizophrénie. On pensait que la niacinamide réduisait la substance VS présente dans l'urine des patients schizophrènes. On a démontré la validité du recours au test diagnostique de classement de cartes, qui a été appelé le test HOD (test diagnostique Hoffer-Osmond).
À Weyburn, on a mené une étude intéressante sur le développement de modèles de comportements sociaux plus désirables chez les patients hospitalités à long terme. Dix-sept articles ont émané de Weyburn. Le programme se déroulait sous la direction du Dr T. Ayllon.

1962 - On a entrepris des études sur de nouveaux types de tranquillisants, les butyrophénones.

1963 - Cinq employés à plein temps travaillaient au programme de recherche à Weyburn.

1966 - Le département a poursuivi ses recherches sur les réactions de la collectivité au fait que 350 patients avaient obtenu leur congé, et sur les rajustements nécessaires, entre autres l'étude Assiniboine-Gravelbourg. On a constaté que les attitudes envers les malades mentaux dans ces deux villes, situées relativement près l'une de l'autre, étaient très différentes. L'étude devait déterminer si la provenance ethnique, c'est-à-dire française ou anglaise, influait sur la perception des gens. Gerald McEachern a été envoyé à Pierreville, au Québec, pour effectuer une étude comparative de trois semaines dans une collectivité entièrement francophone. Il avait fallu recourir à des interprètes.
Des études ont eu lieu dans d'autres collectivités à prédominance ethnique en Saskatchewan, par exemple Yorkton, Watrous et d'autres. Le Dr Dan Sydiha, de l'Université de la Saskatchewan, à Saskatoon, était responsable du projet.

1967 - On a entrepris une importante étude quinquennale sur 509 patients psychiatriques souffrant de troubles chroniques, qui avaient obtenu leur congé de l'hôpital. On a effectué une comparaison entre les résultats des traitements par électrochocs et ceux d'un nouveau traitement dans lequel on faisait passer un courant polarisant de faible intensité dans le cerveau. M. Gib Emard, chef des services d'entretien, a fabriqué l'appareil selon des plans mis au point en Angleterre. Le Dr Marijan Herjanic était responsable du programme. Le département de la recherche a cessé ses activités en 1972.

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Personnel de recherche

1952-1955 : Dr Ben Stefaniuk, Dr Roland Lynch
1957-1958 : Dr T. Weckowicz, Dr Sommer, Mlle G. Whitney, M. Bob Hall, Mlle Koshman, Mme Fenton, secrétaire
1960 : Dr Ayllon, M. Bob Hall
1965-1972 : M. Gerald McEachern
1967 : Dr Herjanic, M. Bob Hall, M. Colin Hales, Mme Mary McCarron, secrétaire
1970-1972 : Dr A. Masters

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Voici quelques-uns des nombreux articles rédigés par des employés de l'hôpital psychiatrique et publiés dans des revues spécialisées:

Allyon, T., Azrin, Nathan, H., Token Economy : A Motivational System for Therapy and Rehabilitaion, 1961.
Beddi, A, Osmond, H., Mother, Mongols and Mares, 1955.
Burrell, R., Clancy, I., Rejskind M., Weckowicz T.E., A Clinical Trial with « Starax » and Largactil on a Group of Tense Psychiatric Patients, 1958-1959.
Burke, J.L., Lafave, H.G., Kurtz, G.E, Minority Group Membership as a Factor in Chronicity, 1965.
Burke, J.L., Lafave, H.G., Hospital Staff View the Special Patient, 1965 (résumés).
Clancey, I.L.W., Therapeutic Aspects of the Mental Hospital Organization, 1959.
Clancey, I.L.W., Occupational Therapy as a Group Activity, 1950.
Clancey, I.L.W., Osmond, H., Permissive and Authoritarian, Two Misleading Words, 1959.
Cross, D.S., Clancey I.L.W., The Organization of Occupational Therapies in a Psychiatric Hospital, 1958-1960.
Cross, D.S., Color Preference in Older Patients, 1960.
Hall, R.W., Grunberg, F., Changes and Communication Within A Mental Hospital, 1956-1964.
Hoffer, A., Osmond, H., Smythies J., Schizophrenia - A New Approach II Results of A Year's Research, 1953.
Hoffer, A., Osmond H., Schizophrenia, An Autonomic Disease, 1955.
Hoffer, A., Osmond H., Malvaria - A New Psychiatric Disease, 1963.
Horbaczewski, J., Agranulociytosis Associated with Chloropromazine Therapy, 1956.
Horbaczewski, J., Admissions of Geriatric Cases to a Mental Hospital,1958.
Osmond, H., Smythies J., Schizophrenia - A New Approach, 1952.
Prysiazniuk, A.W., Kelm, H., Visual Figural After Effects in Retarded Adults, 1962.
Kelm, H., The Figural Effect in Schizophrenic Patients.
Kelm, H., Grunberg F., Hall, R.W., A Re-examination of the Hoffer - Osmond Diagnostic Test, 1965.
Lafave, H.G., Conceptual Basis for Innovative Intramural Programs for Chronic Patients.
Osmond, H., Schizophrenia, 1954.
Osmond, H., The Doctor in Court, 1955.
Osmond, H., A Grand Strategy for Mental Hospitals, 1955.
Osmond, H., Child of the Devil, 1956.
Sommer, D.T., The Effect of Background Music on Frequency of Interaction in Group Psychotherapy, 1957.
Sommer, R., Sex Difference in the Retention Quantitive Information,1958.
Sommer, R., Occupational Therapists as Specialists in Mental Hospitals,1958.
Weckowicz, T.E., Reliability of Mecholyl Test, 1956.
Weckowicz, T.E., The Effect of Lysergicacid Diethlanide (LSD) on Size Constancy, 1959.
Wright, J.B., Rehabilitation in a Mental Hospital, 1966.
Wright, J., MacKinnon, A.A., Lafave H.G., Transition from Custodial to Community Service: The Weyburn Psychiatric Centre, 1965.
Zerney, J., Osmond, H., In Defense of Nursing, 1956.

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Mon « voyage de LSD » en 1960
Par une ancienne employée

« Le fait de prendre du LSD a satisfait en grande partie ma curiosité concernant ce que ressentent les schizophrènes qui ont des hallucinations. Mais surtout, cela m'a appris que 'personne ne demeure jamais oisif'.

J'étudiais en soins infirmiers et je suivais ma formation en psychiatrie auprès du Dr Osmond, qui faisait des expériences avec le LSD dans l'espoir de trouver un meilleur traitement contre la schizophrénie.

J'ai voulu essayé cette drogue pour mieux comprendre comment les patients se sentaient et pensaient, pour ressentir ce qu'ils ressentaient, pour voir ce qu'ils voyaient et entendre ce qu'ils entendaient au moment où ils avaient des hallucinations. Il me semblait que cela améliorerait ma compréhension et ferait de moi une meilleure infirmière.

Il m'était arrivé d'avoir des hallucinations à cause de la dexedrine et d'un manque extrême de sommeil. C'était une expérience étrange de voir certaines choses telles que des portes qui s'ouvraient du côté des charnières, de conduire au-dessus d'une longue file de personnes, de voir deux personnes dans un lit où il n'y en avait qu'une seule. Heureusement, je connaissais la cause de ces hallucinations et je savais ce qui était réellement en train de se passer, mais à partir de ce moment-là, j'ai ressenti davantage d'empathie pour les patients que lorsque le mot hallucination n'avait pour moi qu'un sens théorique.

J'avais entendu de nombreux arguments contre l'utilisation de la drogue à cause de son caractère hautement expérimental. On entendait dire que les gens qui prenaient cette drogue devenaient immédiatement toxicomanes, que l'expérience ne laissait aucune trace dans la mémoire, qu'il y aurait des « récurrences », etc. En ce qui me concerne, je peux affirmer que tout cela est faux!

On a procédé à l'évaluation de ma stabilité mentale avant de considérer ma participation à l'expérience. De plus, je devais avoir l'âge de consentement. Je devais également avoir la permission expresse du directeur de l'hôpital, parce que j'étais étudiante. J'étais sous la surveillance constante d'un psychologue clinique, et l'expérience a eu lieu à l'hôpital. Les résultats de l'expérience ont été intégrés dans les documents qui portent sur la question, et ils ont été consignés dans certaines revues médicales ainsi que dans les archives du Saskatchewan Hospital.

Je n'ai jamais eu de « récurrences », je ne suis pas devenue toxicomane et je pense que je suis raisonnablement saine d'esprit.

La drogue se présentait sous la forme d'un liquide incolore, inodore et sans saveur. Je ne savais absolument pas à quoi m'attendre, ni combien de temps durerait l'expérience. J'étais dans une chambre dans laquelle se trouvait un lit pliant, et je parlais à un psychologue qui a été à mes côtés tout le temps. On avait mis de la musique. J'avais du jus et de l'eau à ma disposition, ainsi que des livres si je souhaitais lire.

Je ne savais pas comment la journée se déroulerait, mais j'ai rapidement eu la réponse à cette question.

Pour commencer, j'ai eu une envie de rire incontrôlable et du coup, je me suis sentie mal à l'aise parce que les gens normaux ne rient pas pour rien. Mais je ne pouvais pas arrêter de ricaner. Ensuite, il m'a semblé que le lit sur lequel j'étais couchée bougeait, ma vision s'est troublée et les changements dans les perceptions se sont rapidement multipliés.

Ces changements touchaient les cinq sens : la vue, l'ouïe, le goût, le toucher et l'odorat. Ma perception de moi-même a également changé. J'avais l'impression que mes mains et mes lèvres étaient épaisses, et de les mouvoir de façon très maladroite, tellement qu'il me semblait que je ne pourrais rien tenir dans mes mains, que je ne pourrais pas ouvrir et fermer ni les mains ni la bouche. J'avais l'impression de me dédoubler, une partie de moi était allongée sur le lit, mais une autre partie de moi ou mon esprit semblait s'être échappé de mon corps et observait tout autour comme une personne détachée en observe une autre.

Le seul souvenir olfactif inhabituel qui me reste est celui des cheveux brûlés. Je n'ai jamais eu froid même si j'avais été mentalement transportée dans un climat très froid. J'avais beaucoup d'hallucinations auditives et visuelles et je voyais des couleurs vraiment psychédéliques. Je percevais tous les objets avec une précision inhabituelle.

Durant l'expérience, il m'a semblé que je passais par les différentes phases de la schizophrénie, notamment les phases paranoïaque, catatonique, névrotique, etc. Il me semblait que la musique et les mots qui me parvenaient étaient en perpétuelle mutation et que c'était cela qui modulait mes changements d'humeur.

Pendant toute la durée de la séance, j'ai caché mon visage et je me suis recroquevillée sur moi-même comme pour cacher la plus grande part de moi-même que possible. C'est comme cela que nous voyons bon nombre de nos patients qui font une rechute, recroquevillés sur leur lit toute la journée. Maintenant, j'ai une idée de ce qu'ils doivent ressentir, avec tout ce qui leur passe par la tête.

Plus tôt dans la journée, il me semble que j'étais incapable de bouger. Mon bras et mon épaule étaient raides et fatigués, et je savais que ma jupe était remontée sur mes cuisses mais je ne parvenais pas à la baisser ou à changer de position.

À un moment donné, j'ai pu voir toutes les veines et les artères de mon bras, je pouvais même voir les pulsations du sang tandis que mon c?ur battait bruyamment au point d'enterrer tous les autres sons.

Je me sentais paranoïaque envers le psychologue qui m'accompagnait. Je savais qu'il représentait mon lien avec la réalité, et chaque fois qu'il m'adressait la parole, je retrouvais mes esprits pendant un moment avant de repartir dans une autre direction, mais je n'aimais pas le fait que je dépende de lui.

Je lui répondais rarement quand il me parlait, même si parfois, je voulais le faire. C'est comme si je savais ce qu'il voulait me faire dire et par conséquent je refusais de le faire. Il m'agaçait avec ses mots et j'aurais voulu qu'il soit mort. Pendant que je le regardais, son corps est devenu transparent, je pouvais voir ses organes internes qui fonctionnaient et le dessin de tous ses vaisseaux sanguins. Tandis que j'observais ce phénomène et que je continuais de vouloir qu'il soit mort, j'ai vu son corps se vider de son sang, ses organes ont cessé de bouger, et pour moi, il était mort et je n'avais plus besoin de m'occuper de lui.

Mes lèvres étaient sèches et gercées parce que je n'avais rien mangé ni bu de toute la journée, même si j'avais du jus et de l'eau à ma portée dans la chambre. Je refusais de boire parce que le liquide semblait cailler, et je savais qu'il essayait de m'empoisonner. Je savais que s'il essayait de me faire boire le liquide, j'aurais résisté et j'aurais tenté de le tuer. Nous nous demandons souvent pourquoi nos patients nous frappent sans raison. Maintenant je sais que cela se justifie parfaitement de leur point de vue et qu'il ne s'agit pas seulement d'un mouvement d'humeur.

J'ai perdu mon identité environ deux heures après le début de la séance. Jusqu'à ce moment-là, je savais mon nom, je savais que j'étais une étudiante en soins infirmiers, une employée du gouvernement de la Saskatchewan, la fille de mon père, la femme de mon mari, etc. Soudainement, je n'ai plus su qui j'étais! Mon nom n'était plus qu'un nom, une chose qui ne m'appartenait pas en propre, puis mon mari n'était plus mon mari, mon père n'était plus mon père, je n'étais plus une employée du gouvernement, etc. Je n'étais personne et de ce fait, je n'existais pas. Ce fut un choc pour moi parce que si je n'existais pas, le corps sur le lit n'était pas le mien, mais le produit de mon imagination.

À ce moment-là, j'ai eu besoin d'aller aux toilettes, mais il m'a fallu près de 45 minutes pour m'y rendre. Je ne savais pas comment faire pour m'assurer que j'étais bien aux toilettes puisque cela aurait pu n'être que le produit de mon imagination. Puis j'ai pensé que si je pouvais sentir le siège des toilettes en m'asseyant je saurais que je me trouvais au bon endroit, mais là encore, je pouvais imaginer tout cela. En plus, si je n'existais pas, pourquoi devais-je aller aux toilettes de toute façon?

Le psychologue se rendait compte que j'étais agitée, et il m'a ramenée à la réalité, et je suis allée immédiatement aux toilettes, accompagnée d'une infirmière, avant que les hallucinations ne recommencent. Dans la salle de bain, tous les objets se transformaient constamment, les tuiles du plancher, leur forme et leur texture, le verrou sur la porte s'est élevé au point où je ne pouvais plus l'atteindre, et j'ai été saisie de panique. J'ai crié, et la jeune femme qui était de l'autre côté de la porte m'a ramenée à la réalité. Quand j'ai lavé mes mains, l'eau dans le lavabo a monté jusqu'à mes coudes et a débordé sur moi. Je savais que c'était impossible et pourtant, je pouvais sentir que ma peau était mouillée et je pouvais voir les gouttes sur mes bras quand l'eau avait soi-disant débordé du lavabo.

La musique suscitait de nombreuses images très vives dans ma tête, par exemple un endroit au climat glacial, rempli de glace et de neige où tout était bleuté. Je pouvais entendre le vent hurler comme s'il y avait une tempête, sentir les flocons de neige sur ma peau, mais à aucun moment je n'ai eu froid, puis la scène s'est modifiée. Je pouvais sentir un vent tiède, voir le soleil et des jardins luxuriants de verdure et de fleurs. Je pouvais sentir le parfum des fleurs.

Mes pensées semblaient sauter d'une idée à l'autre. Chaque fois que j'essayais de me fixer sur une idée en particulier, toutes mes réflexions semblaient épuiser cette idée puis prendre une nouvelle tangente. Toutes les choses que je voyais, que je sentais ou que j'entendais étaient semblables à celles dont j'avais déjà fait l'expérience ou que j'avais imaginées à un moment ou à un autre. Par exemple, le titre d'un livre « From Darkness to Light » (de la noirceur à la lumière) a suscité l'image d'une ampoule nue qui pendait d'un haut plafond tandis que tout le reste était sombre et lugubre, et il y avait une fenêtre extrêmement sale couverte d'une toile d'araignée dans le coin, et le bruit très fort de pas sur des marches en pierre. Il s'agit exactement de ce que je voyais et entendais. Si quelqu'un m'avait demandé avant ou après ce que ce titre évoquait dans mon esprit, c'est exactement de cette façon que j'aurais décrit la scène.

La réalité n'était jamais très loin, même si je ne savais plus qui j'étais, je savais que le lendemain, je serais redevenue moi-même. Je n'ai jamais oublié ni le jour où l'on était, ni l'heure.

Je me sentais anxieuse parce que de temps à autre, tout au long de la journée, je pouvais voir des cloches et les entendre carillonner la marche nuptiale, cela n'en finissait pas et j'aurais bien voulu que ça s'arrête. Plus tard, le psychiatre m'a dit qu'à son avis, cela découlait du fait que j'étais mariée depuis peu et que j'avais choisi de participer à l'expérience contre l'avis de mon mari. Cela m'aurait un peu donné mauvaise conscience.

Si j'avais le choix, je voudrais être complètement saine d'esprit ou au contraire, totalement folle! Rien n'est pire que de se trouver entre ces deux extrêmes.

Je pensais que les effets de la drogue avaient complètement cessé quand tout à coup, j'ai vu et j'ai senti de la fumée émaner du grain du bois des meubles. Plus tard, j'ai senti une douce brise alors que toutes les fenêtres étaient fermées. Et plus tard encore, j'ai vu les ténèbres sortir de sous le lit. Ma tête me disait que ces choses ne pouvaient pas se produire, et pourtant, elles se produisaient.

Quand je suis rentrée à la maison, ce soir-là, il me semblait que la maison brûlait. Je pouvais voir les flammes orange et sentir la fumée, mais je ne sentais pas de chaleur. Il arrive souvent que nos patients fassent l'expérience de ce genre de choses. Il ne sert à rien de leur dire qu'elles ne se produisent pas dans la réalité et que ce qu'ils voient n'existe pas.

J'espère que je n'oublierai jamais, quand je vois un patient calmement allongé sur un lit, à quel point il peut être occupé, en réalité.

Pour l'observateur extérieur, je n'ai rien fait d'autre que de rester allongée sur un lit, de 8 h à 18 h, à ne rien faire. Pourtant, ce fut l'un des jours les plus occupés de ma vie. Le fait de penser peut s'avérer physiquement épuisant.

Je crois que cette expérience m'a aidée à devenir une meilleure infirmière psychiatrique, plus compréhensive, ce qui était mon but. Il arrive souvent que l'on fasse des choses ou que l'on dise les mots qui ne conviennent pas parce que nous ignorons comment nos patients se sentent. Nous ne pouvons que faire de notre mieux. »

1960

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L'article ci-dessous, qui se trouvait dans les archives de l'hôpital, a été écrit en 1954 par le Dr Humphry Osmond.

Schizophrénie
Ce mot sinistre et énigmatique a envahi le monde des arts, de la littérature, de l'histoire, du droit et plus récemment, même les discours politiques. On l'entend dans les films et les émissions de radio, pourtant, combien de gens pourraient le définir? Pas une personne sur 10 000 n'y parviendrait. Dans la population en général, on parle parfois de « double personnalité » comme dans le cas du Dr Jekyll et de M. Hyde, mais ce n'est pas du tout de cela dont il s'agit.

On a dit de cette maladie qu'elle constitue le fléau de notre époque troublée, mais il existe peu de preuves que nous soyons davantage touchés par le problème que les générations précédentes. Pour certains, le trouble est lié aux différents stress dans notre civilisation, mais il semble bien que la schizophrénie frappe dans tous les climats, qu'elle atteigne des gens de toutes couleurs de peau, de toutes les races et de toutes les cultures. Il semble que cette maladie touche en fait tout le genre humain.

Mais qu'est-ce donc que la schizophrénie? On regroupe sous cette étiquette un ensemble de maladies mentales que Kraepelin, le grand psychiatre allemand du 19e siècle, appelait la « démence précoce », et d'autres troubles qui ne figurent pas dans sa classification. Le Dr Eugene Bleuler, psychiatre d'origine suisse, a lancé ce mot en 1910, et à notre avis, étant donné la racine grecque du mot, on devrait parler d'esprit « fragmenté » et non d'esprit « dédoublé ». Les personnes atteintes de ces maladies constituent environ le cinquième des patients hospitalisés en Europe et en Amérique du Nord, et leur nombre doit dépasser le demi-million. La schizophrénie est l'adversaire le plus coûteux et le plus coriace auquel la médecine est confrontée à l'heure actuelle.

Environ une personne sur 100 développe la schizophrénie, et dans au moins un tiers des cas, les personnes atteintes en souffrent toute leur vie. La maladie touche le plus souvent des hommes et des femmes dans leur prime jeunesse, et les patients qui ne se rétablissent pas passent de nombreuses années dans un hôpital psychiatrique. Les personnes qui côtoient quotidiennement cette maladie monstrueuse sont toujours étonnées des formes capricieuses qu'elle peut prendre. En quelques semaines, l'état d'un jeune homme actif et joyeux peut se détériorer si rapidement que si rien n'est fait pour l'en empêcher, il finira par manger ses propres excréments.

Pendant ce temps, un « fou » que l'on considère comme un « cas désespéré », et qui croupit, à demi-oublié, dans un hôpital psychiatrique, recouvre ses esprits, sans avoir reçu de traitement particulier, en l'espace de quelques semaines. Personne ne sait pourquoi. Cela n'arrive pas tous les jours, mais le simple fait que cela puisse se produire est en soi extraordinaire. Quoi qu'il en soit, ces maladies extrêmes sont moins fréquentes que celles qui poussent les malades à adopter progressivement des comportements de plus en plus étranges et à s'isoler, à se couper du monde et perdre toute capacité de réagir.

Vous vous demandez quelle est la cause d'une aussi grave maladie, et à cette question, les médecins ne s'entendent pas sur la réponse. Parmi toute une panoplie de causes présumées, de l'absence d'amour de la mère à une mauvaise hérédité physique, en passant par la cruauté d'une société où prime la compétitivité ou par la présence d'un microorganisme apparenté à la levure, chacune a ses adeptes. Quand il existe de nombreuses opinions et aucune preuve, les hommes s'accrochent à leurs hypothèses avec obstination. En ce qui nous concerne, nous imaginons qu'il existe une substance toxique que nul n'a encore isolée, et en cela, nous partageons le point de vue d'Eugene Bleuler et de son élève encore plus célèbre, C.G.Jung.

Tandis que les médecins diffèrent d'opinion sur les causes d'une maladie si coûteuse tant sur le plan financier qu'émotif, qu'on ne sait jamais quel chiffre astronomique en traduit la réalité, la plupart des gens voudraient apprendre quelque chose sur cette maladie et sur ce que l'on peut faire pour en venir à bout. La schizophrénie engendre des mutations dans la façon de penser et de percevoir d'une personne, dans ses humeurs et souvent, dans sa posture; cela peut durer quelques jours ou toute une vie. Cet état de conscience altéré se traduit naturellement par des comportements modifiés. La maladie peut frapper toutes les races et toutes les classes de la société. Si on la rencontre dans tous les groupes d'âge, elle se déclare surtout chez les personnes âgées de 15 à 40 ans. Il existe des preuves que l'hérédité joue un rôle dans son développement. Personne n'a jamais pu prouver que le cerveau ou le système nerveux des malades avait subi des dommages d'une façon ou d'une autre. Dans la plupart des cas, les patients sont conscients de ce qui les entoure, et ils possèdent un bon souvenir des événements récents ou très anciens.

À ce stade, vous avez peut-être l'impression qu'après avoir demandé du pain, vous avez reçu une brique universitaire. Vous aimeriez savoir ce que les personnes déséquilibrées ressentent. Il n'est pas possible de satisfaire cette curiosité dans un court article, mais certains livres, par exemple The Witnesses, chef d'?uvre de Thomas Hennell (Peter Davies), Kingdom of the Lost, de C.K. Ogden (Bodley Head), les magnifiques romans de Charles Williams (Faber) et les ouvrages effroyables de Franz Kafka (Secker) nous permettent de jeter un coup d'?il sur un monde qui nous demeure inaccessible, fort heureusement. Pour les personnes qui souhaiteraient se renseigner davantage, il existe la voie de la découverte personnelle (sous supervision médicale appropriée) au moyen de la mescaline alcaloïde et de substances analogues. Les expériences de ce type révèlent des aspects de la réalité que seul Yeats a su décrire correctement en parlant de la « beauté terrible ». Seuls certains écrivains parviennent à rendre compte d'expériences de cette nature, notamment Aldous Huxley, dans un livre récent. Devant le phénomène, la plupart d'entre nous restons pantois et bouche bée.

Si vous avez l'esprit pratique, vous vous dites probablement « à quoi cela sert-il? ». La mescaline et les composés de la sorte induisent ce que nous appelons une « psychose modèle », un désastre de l'esprit en miniature, qui, contrairement à ces maladies mentales insurmontables qui clouent des gens à l'hôpital pendant des années, ne dure que quelques heures. Comme tout autre modèle, nos maladies modèles peuvent nous aider à comprendre la maladie réelle, si nous les utilisons de façon appropriée.

Aucun explorateur n'est jamais totalement à l'abri du danger. Les personnes qui consomment ces substances étranges sont semblables à des pilotes d'essai, à bord de leur propre esprit et de leur propre corps. Un jour, peut-être, nous considérerons ces volontaires qui entreprennent de telles expéditions dans une autre réalité avec un respect analogue à celui que nous vouons aux pionniers de l'air. Si nous trouvons le moyen d'altérer ou même de prévenir nos maladies modèles, nous pourrions être en mesure de nous attaquer aux véritables maladies avec davantage de précision. À l'heure actuelle, nos traitements, bien qu'ils produisent parfois de bons résultats, sont rudimentaires, et nous ne savons pas pourquoi ils font effet.

Un jour, nous pourrons traiter ces graves maladies, tout comme un médecin traite le diabète ou l'anémie pernicieuse. La rapidité avec laquelle ce jour viendra dépend en grande partie de tous les lecteurs de cet article, parce que c'est votre soutien, non seulement monétaire mais également moral, qui permet aux chercheurs de persévérer malgré la difficulté et les déceptions qui accompagnent une tâche de cette ampleur.

Et la maladie n'est que le début. Vous voulez savoir, tout autant que nous, la signification de ces choses magnifiques, grandioses et effroyables. Comment se produisent-elles? La science peut-elle nous aider à démêler cet écheveau qui fait partie de la nature essentielle de l'être humain? Nous croyons en être capables, et nous croyons que dans le processus, nous découvrirons non seulement nos limites, mais aussi notre potentiel extraordinaire, pour ainsi faire échec aux désillusions et au désespoir d'une période qui semble si chaotique. C'est en parvenant à comprendre notre propre nature, et par la compréhension de notre nature, celle de l'univers, que nous parviendrons à promouvoir le respect de la vie dont parle Albert Schweitzer. Ce respect de la vie accroît notre amour envers les hommes et les femmes, sans égard à leurs croyances ou à la couleur de leur peau, car il émane d'une vision qui surclasse, et de loin, l'imagination dans toute sa gloire. À l'heure actuelle, la science constitue le seul langage universel, et il est bien qu'elle puisse livrer clairement et de façon urgente un message de vie et d'espoir.

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Le Dr Humphry Osmond
Weyburn (Saskatchewan) Canada
ATTACHEMENT DE TEXTE


Crédits:
Soo Line Historical Museum (SLHM)