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Sainte-Apolline, patronne des dentistes et médiatrice pour les personnes qui ont mal aux dents
Musée Eudore-Dubeau, Univertisé de Montréal, Montréal, Québec, Canada
ATTACHEMENT DE TEXTE


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DU MOYEN ÂGE AU XVIe SIÈCLE: UNE DENTISTERIE DOULOUREUSE

Après le déclin de l'empire romain, les connaissances se perdent rapidement. C'est la partie la plus sombre du Moyen Âge. Les progrès en dentisterie s'arrêtent. Les moines traduisent les livres anciens et ont ainsi accès aux connaissances médicales acquises jusqu'à ce jour. Détenteurs de la connaissance transmise par le passé, ils peuvent mettre leur science à contribution, mais par aversion pour les connaissances profanes, ils négligent les médicaments et incitent davantage les malades à recourir aux prières et aux bons offices des prêtres. La prière, et particulièrement les aumônes, ont plus de mérites que les soins:

"Le péché ne peut être ôté que par la souffrance. Les mauvais désirs sont comme les dents cariées, causes de terribles souffrances"

De plus, le Pape voit d'un mauvais oeil la pratique de la médecine, car cela consomme trop de temps et toute intervention qui peut occasionner un saignement est incompatible avec la prêtrise.

Les médecins existent bien, mais ils ont des connaissances très théoriques, et par ailleurs souvent erronées, de l'anatomie et de la physiologie du corps humain; ils n'opèrent pas. Les barbiers sont des gens qui possèdent bien l'art de manier des instruments tranchants, mais n'ont pas de connaissances didactiques. Les religieux, et même les médecins, transmettent alors leurs connaissances aux barbiers, qui font des saignées et des petites chirurgies. L'appellation "Médecin-Barbier" et "Dentiste-Barbier" date du Moyen-Âge. Un autre groupe
se forme: les arracheurs de dents. Ils se produisent sur les places du marché, et si certains d'entre eux sont très habiles, la plupart ne sont que des imposteurs, des vagabonds et des charlatans.

Quelques noms se détachent par leur érudition et leur sens clinique, et vont amener des progrès considérables.

Guy de Chauliac (1363) publie un ouvrage de chirurgie en français, qui constituera l'enseignement de base pendant quatre siècles. Les maladies de la bouche font l'objet de son sixième livre. Parlant des chirurgiens et des dentistes, il dit: "Il faut qu'ils soient adroits et ingénieux, hardy en choses seures, craintifs ez dangiers, gratieux aux malades, bienveullants à ses compagnons, sages en prédictions, chastes, sobres, pitoyables et miséricordieux, non convoiteux, ni extortionnaires d'argent". Il classifie ainsi les dents: par mâchoire, on compte "deux duelles (incisives centrales), deux quadruples (latérales), deux oeillères (canines), huit machelières (prémolaires et molaires) et deux caysseaux (sagesses)".

Guy rapporte que la dentisterie peut être pratiquée par des "dentator ou dentatores" munis des instruments appropriés: "rasoirs, râpes, spatumes, eslevatoires, tenailles, esprouvettes, cannules, deschaussoirs, tarieres et plusieurs autres nécessaires a cette besogne". Les barbiers selon lui ne sont bons que pour enlever les dents. Il est l'un des premiers à proposer la taille de la dent pour empêcher la nourriture de s'y loger: "Si ces choses n'y valent rien, la dent soit esbuschaillee avec un ciseau et lime, e qu'on luy fasse un passage, à ce que la viande ne s'arreste au trou". Il croit que les vers envahissent la dent et créent la carie. Il recommande des fumigations, traitement éprouvant où le patient à-demi penché inspire la fumée de produits bizarres. "Si dans le trou il y a un ver, après le susdit lavement (rince-bouche), la dent soit suffumiguée avec une graine de porreau et d'oignon et semence d'hyosciame, confits avec suif de bouc".

Un autre barbier qui allait bien tourner fut Ambroise Paré (1554). Il cite pour la première fois un cas de transplantation. "Or doncques un homme digne d'estre creu m'a affirmé qu'une princesse ayant fait arracher une dent, s'en fit remettre subit une autre d'une sienne damoiselle, laquelle se reprint, et quelque temps après maschoit dessus comme sus celle qu'elle avoit fait arracher auparavant. Cela ay-ie ouy dire...à condition qu'elles doivent être liées et attachées contre celles qui sont fermes, avecques un fil d'or ou d'argent, ou de lin". Il commente le fait que les molaires inférieures ont moins de racines que les supérieures parce que "étant assises sur la racine, et non suspendues, comme celles de la mandibule d'en haut, n'avoient besoin de tant de racines pour leur stabilité asseurance".

Il conseille aux patients qu'ils aillent "aux vieux dentateurs et non aux jeunes, qui n'auront encore reconneu leurs fautes". Chirurgien-barbier à l'Hôtel-Dieu de Paris, il joint les rangs de l'Armée française, où il acquiert une grande expérience. Il se présente aux examens du Collège des Chirurgiens de Paris, qui ne voit pas d'un très bon oeil ce vulgaire barbier accéder au prestige des Chirurgiens, plus livresques que chirurgiens. Il devient successivement Bachelier, Licencié, et Docteur. Il devient Chirurgien en chef de la Cour en 1562. Ambroise est protestant et il échappe de justesse au massacre de la St-Barthélemy dans la nuit du 23 août 1572, où plus de 3 000 protestants furent égorgés sous les ordres de Charles IX et de Catherine de Médicis. On prétend toutefois que le roi Charles IX cacha Ambroise dans son placard.

D'autres personnages ont grandement influencé la médecine, et par ricochet la dentisterie, par leurs recherches et leurs écrits. André Vésale, né à Bruxelles en 1514, courut de grands dangers en exhumant des cadavres pour pouvoir les disséquer et dessiner des planches anatomiques remarquables, qui parurent dans son Traité sur l'Anatomie ("De humani corporis fabrica"). Il réfute l'affirmation d'Aristote, à l'effet que les hommes possèdent plus de dents que les femmes. Il contredit les enseignements de Galien, encore perçu comme un dieu, et se fait ainsi plusieurs ennemis. Il se réfugie en Espagne, où sa renommée ne cesse de croître. Un malheur l'attend en 1564. Un gentilhomme sous ses soins décède, mais la dissection de son cadavre montre que le coeur battait encore, ou croyait-on le voir battre. On le traîne devant le grand Inquisiteur. Il n'a la vie sauve que grâce à l'intervention de Philippe II lui-même, qui lui enjoint de se rendre en Terre Sainte pour expier sa faute. À son retour, le bateau fait naufrage et Vésale réussit à gagner une île déserte, où il meurt de faim le 15 octobre 1564.
Paracelse, un Suisse, est professeur de Médecine et de Chirurgie à Bâle en 1527. Il commence ses cours en brûlant devant son audience stupéfaite par sa témérité, les livres de Galien et d'Avicenne. Luther, son compatriote, avait fait la même chose 7 ans plus tôt en brûlant les bulbes et les décrets du Pape.

Fallopius, un Italien, Eustachius, également d'Italie, ont publié leurs observations sur l'embryologie, l'anatomie, les maladies des dents et ont ainsi fait avancer les connaissances. Le premier ouvrage écrit en français et consacré uniquement aux dents fut écrit par Urbain Hémard et publié à Lyon en 1582 sous le titre: "Recherches sur la vray anathomie des dents, par Urbain Hémard, chirurgien de Monseigneur le révérendissime et illustrissime cardinal d'Armaignac..."

Les gens au Moyen Âge n'ont pas aidé à donner une bonne image à la dentisterie, qui est toujours associée à la douleur. À part quelques rares exceptions, les soins dentaires sont prodigués par des barbiers, des guérisseurs itinérants, des charlatans, des bourreaux, des opportunistes.

Les clients sont attachés aux bras d'une chaise ou retenus par quelques hommes forts, et le "chirurgien" démontre devant une assemblée ébahie ses grands talents. Le prochain client hésite entre fuir comme un trouillard ou s'avancer vaillamment sous le regard de la foule.
En ces temps-là, on enlevait la douleur... mais on enlevait aussi la dent, tout au moins la couronne.

Les interventions dentaires consistent principalement à extraire, et on devrait plutôt dire à "arracher les dents malades". Comme tout va de mal en pis, les barbiers sont remplacés par des charlatans qui n'ont aucune formation reconnue. Leur principal rôle est l'extraction des dents et l'application de certains traitements farfelus. Ils changent rapidement d'emplacement et se déplacent de villages en villages pour éviter les représailles de leurs patients. Ils font connaître leur arrivée par des annonces et des réclames, et travaillent de connivence avec d'autres mécréants qui vantent devant la foule naïve le grand mérite du thérapeute et ses exploits remarquables. Les paysans et les pauvres citadins sont les premières victimes, eux qui ne peuvent payer les honoraires de vrais chirurgiens.