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Les doukhobors du Canada (préface)

En premier lieu, il faut savoir que les doukhobors du Canada étaient un regroupement de factions, soit les Independents, les Sons of Freedom et les Community Doukhobors, le groupe le plus important qui appartenait à une entreprise communale. (Il y eut même des groupes de doukhobors en Russie et en Amérique dans la foulée de l'immigration au Canada.)

Cependant, malgré notre volonté d'être aussi exhaustifs que possible, le fait que le Doukhobor Village Museum (qui a soumis cette exposition) soit représentatif de l'époque des villages communaux de la Colombie-Britannique, ce projet s'intéresse davantage aux Community Doukhobors qu'à l'organisation politique et au fonctionnement des autres groupes.

Le fait de ne pas inclure l'histoire de ces factions après 1939 ne constitue aucunement un manque de respect. Nous voulons simplement fournir de l'information sur les doukhobors du Canada, leur mode de vie communale, la mort de leur communauté et les raisons derrière la création du Doukhobor Village Museum.

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Bread, Salt and Water (pain, sel et eau)
12 septembre 1999
Castlegar, C.-B., Canada
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Crédits:
John Kalmakoff

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Origines

On a déjà soutenu que les doukhobors, dont les racines se trouvent en Russie, étaient un mouvement social et une secte religieuse rebelle. L'Église orthodoxe russe et le gouvernement tsariste les considéraient toutefois comme des fanatiques, des dissidents et des traitres à la patrie.

Peu importe ce qui a été dit à propos de ce groupe relativement petit, il s'agit peut-être de la secte de cette taille qui a fait l'objet du plus de publicité, bonne et mauvaise, jusqu'à maintenant. On peut affirmer une chose en toute certitude : la plupart des choses qui ont été écrites et dites à propos de ce groupe controversé ont été continuellement déformées (par les médias et même par certains historiens doukhobors). Pour comprendre les doukhobors du Canada, il faut d'abord comprendre leur passé et leurs origines.

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On connaît peu de choses sur les premiers doukhobors de Russie. Les premiers écrits à propos de ce groupe de radicaux datent du XVIIIe siècle. On croit toufefois qu'ils existaient déjà depuis longtemps. On sait qu'ils étaient appelés « Ikono-bortsi », ou « opposés aux icônes ». Ils rejetaient la sainteté des icônes, des croix de bois ou d'or et des images. Ils s'opposaient aussi à la prêtrise, à l'Église et à tous les rites et manifestations de mysticisme, ainsi qu'aux sacrements comme la confession et le baptême.

Le baptême était fait par l'esprit, la confession se faisait à un frère de la communauté et l'Eucharistie consistait à méditer sur les paroles du Christ. Les miracles de la Bible étaient considérés comme des paraboles symboliques, la résurrection du Christ était une résurrection spirituelle dans le c?ur des fidèles. Pour les doukhobors, l'esprit de Dieu était en chaque homme et femme. Ils rejetaient les idées de l'Église orthodoxe russe, estimant que l'Église et l'État étaient liés de façon incompatible et étaient tous deux corrompus. Dans la Russie tsariste, cela était peut-être le cas, effectivement.

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Esprits se livrant une lutte. Artiste inconnu
1785
Russie
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Crédits:
Exposition Autochrome, Doukhobor Village Museum, Castlegar, C.-B.

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En 1785, l'archevêque Ambrosius de l'Église orthodoxe de Russie donna le nom de Doukho-bortsi à ce groupe grandissant de dissidents religieux russes. Ce terme signifie « lutteurs spirituels » et se voulait une étiquette désobligeante suggérant que les dissidents luttaient contre l'esprit de Dieu et de la sainte Église.

Les doukhobors adoptèrent le nom, ajoutant ce qui suit : « Nous sommes des lutteurs spirituels parce que nous luttons avec et pour l'esprit de Dieu contre tout ce qui est mal. » Dans leur combat pour une vie meilleure, ils ne se serviraient que de la force de l'amour, sans jamais avoir recours à aucune forme de violence, s'appuyant sur l'admonition biblique « Ne résiste point au mal ». Outre leur conflit avec l'Église orthodoxe russe, les doukhobors croyaient fermement au commandement « Tu ne tueras point », ce qui causa aussi des problèmes avec le gouvernement tsariste qui souhaitait conscrire tous les hommes en santé dans son armée. Selon les doukhobors, l'esprit de Dieu était en chacun de nous. Par conséquent, en tuant un autre être humain, on tuait l'esprit de Dieu. La guerre était tout simplement incompatible avec leurs croyances chrétiennes.

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Croquis du village doukhobor de Terpenie
Début des années 1800
Terpenie, en Russie - région des Eaux laiteuses
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Des années de turbulence

Dès leurs débuts, les doukhobors subirent les foudres d'innombrables prêtres, évêques et tsars (certains tsars furent toutefois plus libéraux et tolérants que d'autres). À certaines périodes de l'histoire russe, le fait d'être doukhobor était passible d'emprisonnement et de travaux forcés à vie. Les grands procès collectifs de doukhobors qui refusaient de porter les armes étaient courants dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. En 1802, le tsar Alexandre I (l'un des tsars les plus tolérants) ordonna que les doukhobors soient expulsés de leurs terres et réinstallés dans la région des Eaux laiteuses, une région plus centrale de la Russie.

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Village du Caucase
Vers les années 1920
Caucase, Russie
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Les doukhobors commencèrent à subir de la pression dès que le tsar Nicolas prit le pouvoir. Si le tsar Alexandre avait plus ou moins décidé de laisser la secte non violente en paix, le tsar Nicolas adopta une politique d'intolérance envers les doukhobors. Dans les années suivant son couronnement, les doukhobors furent bannis de la région des Eaux laiteuses et durent une fois de plus renoncer aux terres qu'ils avaient cultivées à la sueur de leur front.

En 1841, tous les doukhobors qui avaient refusé de réintégrer l'Église orthodoxe perdirent leur maison et leurs terres. En 1845, plus de 4 000 doukhobors dûrent abandonner leurs terres cultivées et fertiles pour s'établir dans les hauteurs arides du Caucase. En quelque cinquante ans, le nombre de doukhobors de la région du Caucase atteignit 20 000, en raison notamment de l'arrivée des doukhobors libérés de prison ou revenus d'exil.

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Lukeria Vasiliyevna Kalmikova
Vers 1860
Russie


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Bien que ce groupe rejetât la religion organisée, la prêtrise et l'autorité, les doukhobors suivaient toujours un « chef spirituel » qui parlait en leur nom, ce qui est plutôt ironique. Les historiens qui s'intéressent aux doukhobors connaissent bien les noms de Pobirokhin, Kolesnikov, Kapoustine et Kalmykov, qui correspondent à quelques-uns des premiers chefs doukhobors.

À titre d'exemple, Peter Kalmykov fut chef spirituel de 1856 à 1864, date à laquelle il mourut d'une infection intestinale. Sur son lit de mort, il demanda à ce que son épouse Lukeria Kalmykova devienne la chef incontestée des doukhobors. Son règne fut considéré comme l'âge d'or des doukhobors.

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Il faut noter que la conscription (recrutement militaire obligatoire) ne s'appliquait pas au Caucase, qui était plus ou moins considéré comme une colonie pénitenciaire. Cependant, à la fin des années 1870, des représentants du pouvoir russe sollicitèrent Lukeria pour qu'elle contribue à l'effort de guerre contre les Turcs postés près de la frontière. Bien que les représentants russes eussent promis que les doukhobors ne seraient pas conscrits et n'auraient pas à porter les armes, ceux-ci devaient aider les soldats en leur donnant accès à leurs routes, à leur nourriture, à leurs wagons et à leur main-d'?uvre. Sinon, ils risquaient d'être conscrits ou, pire encore, d'être envahis par les Turcs qui pilleraient sans doute leurs terres chèrement acquises.

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Lukeria Kalmykova accepta de contribuer à l'effort de guerre et aucun doukhobor n'eut à prendre les armes. En échange, les doukhobors furent généreusement rétribués pour leurs services, ce qui permit à la communauté de croître et d'atteindre son apogée. On croit toutefois que Lukeria a toujours regretté d'avoir cédé ainsi aux autorités et participé à l'effort de guerre.