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Rencontre en Angleterre de Vladimir Tchertkov et Peter V. Verigin avant le départ pour le Canada
Automne 1902
Angleterre


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Après avoir servi trois peines consécutives de cinq ans, Peter V. Verigin fut finalement libéré de son exil en Sibérie à l'automne 1902. Les autorités lui interdirent de rendre visite à son fils et à son ancienne épouse, qui étaient toujours dans le Caucase, et lui ordonnèrent de partir au Canada. Verigin fit toutefois escale à Moscou, où il rencontra brièvement Tolstoï, à Londres, où il rencontra Tchertkov et d'autres personnes, puis à Winnipeg, où il fut accueilli, le 23 décembre, par sa s?ur et les agents d'immigration du Canada.

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Travailleurs posant pendant la construction de la dom (maison) de Peter « Lordly » Verigin
1902
Otrodnoe, Saskatchewan, Canada


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Verigin ne correspondait pas du tout à l'idée que les agents d'immigration et les médias s'étaient faite de lui. Il n'était pas vêtu comme un paysan doukhobor. Il était habillé avec élégance, portait un costume, avait une montre de poche, une plume et un crayon doré. Le lendemain, il se rendit à Yorkton, puis dans un village où vivaient sa mère Anastasia Verigina et son frère Gregory. C'est là qu'on lui construisit une grande demeure et qu'il établit ce qui allait être son siège pendant une courte période.

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Peter V. Verigin et Anastasia Gulobova
Après l'automne 1902
Saskatchewan, Canada


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Peter parlait beaucoup à ses frères. Il leur racontait où il était allé et ce qu'il avait vécu. Il parlait de Jésus, de ses souffrances et de sa crucifixion. Il déclara ensuite qu'il voulait visiter tous les villages. « Qui parmi vous sait chanter? J'ai besoin de six personnes, trois frères et trois s?urs. » Il affirma qu'il voulait visiter les villages en compagnie de chanteurs. Parmi les s?urs choisies se trouvait un jeune femme de 18 ans appelée Anastasia Gulobova.

Anastasia Gulobova était la nièce d'un des aînés du village et avait 18 ans lorsqu'elle rencontra Verigin. Elle fut la compagne fidèle et dévouée de celui-ci jusqu'à sa mort, vingt-deux ans plus tard. Elle fut en quelque sorte son épouse, bien qu'il n'y eut jamais de cérémonie officielle. Anastasia accompagna Peter dans ses voyages au Canada et aux États-Unis et finit par avoir ses propres adeptes en tant que femme de Peter « Lordly » comme l'avaient surnommé ses fidèles.

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Après sa visite des villages et après avoir discuté avec quelques-uns de ses alliés les plus proches et dévoués, Verigin détermina les problèmes à régler. S'il se réjouit du fait qu'on ait adopté en bonne partie le mode de vie communal qu'il avait prescrit, il fut décu de voir que plus de 2000 doukhobors avaient choisi un mode de vie « indépendant », c'est-à-dire qu'ils ne contribuaient pas à la communauté et n'en dépendaient pas. Toutefois, au printemps suivant, il les avait presque tous convaincus de réintégrer la communauté.

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Il fut également déçu par le mécontentement et les actes fanatiques des zélateurs. Il parvint à les apaiser à court terme, mais au cours des années suivantes, ceux-ci deviendraient une source d'ennuis et d'embarras pour Peter V. Verigin. Verigin avait aussi une solution au problème de l'enregistrement des terres.

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Un des premiers villages doukhobors des Prairies
Vers 1911
Assinibioa, Canada
ATTACHEMENT DE TEXTE


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Peu de temps après son arrivée, Verigin fonda la Doukhobor Trading Company, dont il prit les commandes. Les villages devinrent par conséquent mieux organisés et, selon la plupart des villageois, un lien de confiance inexistant depuis de nombreuses années se rétablit avec leur chef.

Un comité fut formé et, peu de temps après, on commença à enregistrer les propriétés rurales au nom de la communauté, plutôt qu'au nom de particuliers. (En 1905, plus de 2700 propriétés rurales avaient été enregistrées de la sorte, ce qui répondait provisoirement aux exigences du Dominion et des membres de la communauté qui jugeaient que les terres ne devaient pas appartenir à des particuliers.)

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Cela ne résolut pas complètement le problème, mais permit de gagner du temps (trois ans en vertu de la loi). Verigin découvrit que l'étape suivant l'enregistrement individuel des terres était la naturalisation, ce qui impliquait un serment d'allégeance. L'opposition au serment fut la plus sérieuse de toutes parce que les doukhobors croyaient qu'ils ne seraient jamais tenus de prendre les armes. Le fait de signer un serment d'allégeance à la monarchie britannique (un autre tsar aux yeux des doukhobors) revenait à accepter de prendre les armes si le roi l'exigeait. Ce n'était pas une condition qu'ils avaient acceptée en venant au Canada. Après des siècles de méfiance envers le gouvernement de leur mère-patrie, la Russie, les doukhobors avaient la même opinion du gouvernement du Dominion que de celui du tsar.

Pendant un certain temps, la communauté progressa. Les doukhobors réunirent du capital en offrant les services d'un plus grande main-d'?uvre pour la construction du chemin de fer (les autres hommes s'occupaient des fermes). Ils purent acheter des vaches laitières, des poules (dont ils ne consommaient que les ?ufs), des b?ufs et de l'équipement. On mit en ?uvre un plan de modernisation en vue d'acheter de l'équipement qui ferait l'envie de tout fermier. En 1903, Verigin acheta 14 milles carrés de plus à l'extérieur des réserves foncières où le village de Verigin et le quartier général de la Christian Community of Universal Brotherhood (CCUB) seraient situés et où le chemin de fer passerait bientôt. On construisit trois autres villages sur ces nouvelles terres. Dans les années suivantes, on construisit une usine de briques moderne, un grand moulin en brique, un moulin à farine, une fromagerie et d'autres entreprises. Bien que le bois de construction fut beaucoup moins abondant qu'en Colombie-Britannique, par exemple, on construisit aussi des scieries.

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Mais tout n'allait pas bien dans la commune. Seulement six mois après l'arrivée de Verigin, quelques doukhobors mécontents se soulevèrent. Ils troquèrent le nom de Sons of God pour celui de Svobodniki ou de Freedomites, et adoptèrent une pratique qui allait durer des dizaines d'années. Un groupe de 52 hommes, femmes et enfants se dévêtirent, pour être libres comme Adam et Ève, et marchèrent dans les villages doukhobors jusqu'à ce que leurs frères, dégoûtés par ce comportement, les arrêtèrent et les fouettèrent à l'aide de branches de saule. On retint les femmes et les enfants, mais les 29 hommes poursuivirent jusqu'à Yorkton, où ils furent arrêtés et emprisonnés pendant trois mois pour outrage public à la pudeur.

Ces fanatiques furent surpris par l'attention qu'ils attirèrent. Après leur libération, dix d'entre eux mirent le feu à une machine agricole communautaire. Ils se disaient « puristes » et, dans le but de contrer la science et le matérialisme, ils piétinèrent du blé. Verigin n'avait aucune compassion pour ce genre de soulèvement et il n'eut aucune sympathie lorsqu'il porta des accusations pour incendie criminel. Six des hommes furent emprisonnés, puis deux d'entre eux furent déclarés fous et internés. Ce ne fut pas pour autant la fin des Sons of Freedom.

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Frank Oliver, ministre de l'Intérieur du Dominion du Canada
Vers les années 1900
Ottawa, Canada
ATTACHEMENT DE TEXTE


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D'autres problèmes attendaient Verigin et ses fidèles une fois que les territoires furent annexés à la province de la Saskatchewan. La politique intérieure subit une transformation profonde lorsque Frank Oliver devint ministre de l'Intérieur en 1905. L'indulgence de Clifford Sifton fit place à l'hostilité ouverte d'Oliver au mode de vie communal et aux sectes slaves. Il était déterminé à soumettre les doukhobors aux nouveaux règlements du gouvernement.

Tous les doukhobors devaient désormais enregistrer individuellement leurs propriétés rurales et remplir toutes les conditions. Bien que la plupart des doukhobors acceptèrent à contrec?ur d'enregistrer individuellement leurs terres, il refusèrent de prêter serment d'allégeance (en raison de leurs croyances religieuses et de l'insistance de Verigin en ce sens), ce qui constituait l'étape finale de l'obtention du titre de propriété. Selon les doukhobors, le fait de prêter allégeance était mauvais en soi, mais un serment d'allégeance à la monarchie était d'autant plus inacceptable puisque cela ouvrait la voie à la conscription. Ils firent valoir que leur entente de 1898 ne prévoyait pas de serment d'allégeance, mais le gouvernement fit la sourde oreille. Celui-ci leur imposa l'ultimatum non négociable suivant : « Prêtez serment ou perdez vos terres. »