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Michael Kazakoff, directeur administratif du bureau de la CCUB
1911
Veregin, Saskatchewan, Canada


Crédits:
Exposition Autochrome, Doukhobor Village Museum, Castlegar, C.-B.

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Près de trois ans s'écoulèrent avant que Peter Petrovich ne prenne les rênes. Entre-temps, la gestion des affaires de la CCUB, qui étaient de grande envergure, fut confiée à Michael Kazakoff et à Joseph Shoukin, qui avaient tous deux une bonne expérience et connaissance des affaires, mais qui n'avaient pas la finesse de Peter « Lordly ».

Gabriel Vereschagen et Nicholai Plotnikov, deux membres respectés de la CCUB, furent envoyés en Russie pour convaincre Peter Petrovich de venir au Canada pour diriger l'organisation.

En Russie, Peter Petrovich était prêt à le faire, mais il ignorait que les doukhobors du Canada étaient divisés. Il voulait réunir les Independents, les Sons of Freedom et les Community Doukhobors. Quand Vereschagen et Plotnikov rentrèrent en Colombie-Britannique, ils avaient en partie atteint leurs objectifs. Depuis la Russie, Peter Petrovich lança une campagne en vue d'unir les factions et d'obtenir l'aide financière des doukhobors pour faire le voyage jusqu'au Canada.

Heureusement pour les doukhobors, la question de l'absentéisme scolaire changea lorsque Peter Petrovich, depuis la Russie, demanda à ses fidèles de la Colombie-Britannique d'inscrire leurs enfants à l'école, ce qui apaisa les représentants du gouvernement. On rapporte que Peter Petrovich parvint à plusieurs reprises à recueillir jusqu'à 18 000 $ auprès des trois factions doukhobores canadiennes pour payer son voyage au Canada (mais cette somme est peut-être exagérée).

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Jusqu'à l'arrivée de Peter Petrovich, la CCUB a dû composer avec de nombreux obstacles commerciaux alors qu'ils étaient sous la direction de Kazakoff et Shoukin. Il y avait, entre autres choses, les amendes pour absentéisme scolaire, les impôts, les coûts liés aux incendies criminels, les saisies par le gouvernement provincial et les prêts à court terme dont le remboursement fut réclamé à la mort de Peter « Lordly », parce que les prêteurs ne croyaient pas en la capacité de la CCUB de reprendre ses affaires.

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Une fois privée de son chef, la CCUB se retrouva dans une situation financière très instable. Entre-temps, les responsables de la communauté obtinrent un nouveau prêt de 350 000 $ de la National Trust Company pour couvrir les dépenses de plus en plus élevées de la CCUB, en laissant en garantie toutes ses terres et bâtiments, dont la fabrique de confiture, ce que Peter « Lordly » n'avait jamais fait. Quand Peter Petrovich arriva en 1927, la CCUB avait des dettes de plus d'un million de dollars et aucun crédit, puisqu'elle avait hypothéqué tous ses biens.

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Réception à l'occasion de l'arrivée de Peter P. Verigin à Brilliant
11 octobre 1927
Brilliant, C.-B., Canada
ATTACHEMENT DE TEXTE


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Il fallut à Peter Petrovich un peu plus de temps pour se rendre au Canada que ce qui avait été prévu après sa rencontre avec Vereschagen et Plotnikov. Il arriva après sa mère à Brilliant, en Colombie-Britannique, pour hériter du titre de chef de la CCUB. C'était en octobre 1927.

Chistiakov, ou responsable de la purge, nom qu'il s'était lui-même donné et par lequel il se fit appeler, entreprit immédiatement de rembourser les dettes importantes que la CCUB avait contractées en l'absence d'un chef.

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Réception à l'occasion de l'arrivée de Peter P. Verigin à Brilliant
11 octobre 1927
Brilliant, C.-B., Canada
ATTACHEMENT DE TEXTE


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Quand le fils prit la relève de son vénéré père, la communauté ne nota pas seulement des changements immédiats dans la gestion des affaires. Des rumeurs concernant le mode de vie et les habitudes de Peter P. Verigin se répandirent. Certaines personnes constatèrent de leurs propres yeux qu'il avait un faible pour l'alcool et le jeu, et qu'il avait un tempérament colérique, mais il avait de toute évidence des qualités intéressantes, comme il le prouva en améliorant considérablement la situation financière de la communauté grâce à des pratiques administratives et commerciales astucieuses.

D'un point de vue commercial (et du point de vue des gouvernements provincial et fédéral), sa mission et ses promesses de changement étaient encourageantes. Dès son arrivée, il assura aux autorités que les enfants iraient à l'école. (On ne sait trop comment, mais certains membres de la communauté, notamment les Sons of Freedom, plus radicaux, jugèrent qu'il voulait en fait dire le contraire. S'il promettait que les enfants iraient à l'école, il voulait sans doute dire qu'ils n'y iraient pas). Bien que Chistiakov fit construire de nouvelles écoles, l'absentéisme et l'incendie criminel des écoles augmentèrent.

Du point de vue de la communauté, les changements apportés par Chistiakov à la structure administrative de la communauté constituaient une rupture radicale avec le passé. La communauté cessa de « s'occuper » de ses membres et se mit à exiger des droits de participation. Cela signifiait en définitive que les revenus collectifs de la communauté ne seraient plus divisés et redistribués (tout en continuant de pourvoir aux besoins essentiels des membres de la communauté), et que les travailleurs pouvaient désormais gagner leur propre argent et en remettre une partie à la CCUB.

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Les doukhobors améliorant leurs installations
Vers 1910
Brilliant, C.-B., Canada
ATTACHEMENT DE TEXTE


Crédits:
Photo par le Hughes Bros. Studio, Trail, C.-B.
Exposition Autochrome, Doukhobor Village Museum, Castlegar, C.-B.

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Les changements apportés à l'administration de la communauté eurent un profond impact sur les membres de la communauté. Par exemple, les membres cessèrent de remettre leurs produits agricoles à la communauté. Ils pouvaient désormais vendre leurs produits à la CCUB et faire du profit, puis payer des droits à la communauté pour continuer de vivre sur les terres communales et les exploiter. De nombreux aînés s'opposèrent vivement à cette pratique, la jugeant contraire à leurs croyances traditionnelles selon lesquelles la gestion de l'argent allait à l'encontre des principes communaux fondamentaux des doukhobors. De plus, cette nouvelle méthode sapait les principes fondamentaux de son père, Peter « Lordly », et constituait une source de mécontement pour les disciples de ce dernier.

Ceux qui n'étaient pas d'accord avec les nouvelles méthodes ne pouvaient pas faire valoir leur point de vue (ce qui ne respectait pas la tradition communale selon laquelle presque tous les membres pouvaient exprimer leur opinion). Les personnes qui s'opposèrent ouvertement aux décisions du nouveau chef furent tout bonnement bannies de la communauté et expulsées de leur maison. Bon nombre des membres de la communauté éprouvaient de la compassion pour leurs frères qui refusaient l'approche intransigeante de Chistiakov.

Outre le mécontentement grandissant des fidèles (dont certains se joignirent aux Sons of Freedom), les problèmes de Chistiakov devinrent de plus en plus importants, notamment en raison du manque d'argent à la suite de la grande dépression. Bien qu'elle fût en quelque sorte isolée du monde extérieur, la communauté avait des intérêts commerciaux qui ne purent échapper à la dépression. La vente de bois, de conserves et de produits agricoles ralentit, et d'autres sources de revenus s'amenuisèrent, ce qui affecta les finances de la communauté. En raison des pressions gouvernementales, Chistiakov (comme son père avant lui) explora d'autres endroits où les doukhobors pouvaient s'établir. La plupart des doukhobors estimaient que les gouvernements provinciaux et fédéral ne cesseraient jamais de faire pression sur eux et de les persécuter. Fort du soutien enthousiaste de sa communauté, Peter envisagea un retour en Russie ou un déménagement au Mexique comme solutions possibles.

Le gouvernement provincial commençait à s'impatienter et à se sentir embarrassé. Non seulement l'absentéisme scolaire des doukhobors était-il à la hausse (contrairement à ce qu'avait promis Chistiakov), mais le nombre de mécontents (les Sons of Freedom) était de plus en plus important, tout comme l'étaient leurs manifestations.

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John J. Verigin auprès du cercueil de Peter P. Verigin
Février 1939
Brilliant, C.-B., Canada
ATTACHEMENT DE TEXTE


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Puisque le gouvernement était devenu propriétaire de leurs terres et que l'avenir semblait incertain, de nombreux doukhobors quittèrent leur village, ce qui constituait peut-être une occasion (quoique forcée) de devenir indépendants et de s'intégrer, ce que le gouvernement souhaitait ouvertement depuis une vingtaine d'années. Certains doukhobors restèrent dans leur village pendant des dizaines d'années, mais cessèrent de vivre de façon communale et devinrent plutôt locataires.

Des divergences apparurent concernant les propriétés qui avaient autrefois été communales et prisées. Le c?ur de la communauté avait été brisé à bien des égards et le démantèlement de plusieurs entreprises en raison de leur mise en tutelle priva des milliers de doukhobors de travail et de revenu. L'assimilation ne se faisait plus par choix, mais bien par nécessité. Les propriétés foncières de la communauté en Saskatchewan furent vendues et de nombreux doukhobors qui vivaient dans cette province parvinrent à les acquérir.

Le 11 février 1939, Peter Petrovich Verigin « Chistiakov » mourut dans un hôpital de Saskatoon. Il fut enterré dans le tombeau de son père, à Brilliant, en Colombie-Britannique, surplombant la grande vallée jadis si prospère.

La fabrique de confiture continua d'être exploitée par le Lands Settlement Board. En décembre 1943, deux majors vêtus de leur uniforme militaire se présentèrent à la fabrique pour tenter de convaincre les doukhobors de se conformer à l'enregistrement national et de participer à l'effort de guerre. Les doukhobors présentèrent une pétition signée par 4000 personnes pour s'objecter (comme ils en avaient le droit en tant qu'objecteurs de conscience). Le lendemain matin, la fabrique KC Preservative Works, évaluée à 400 000 $, était incendiée. On ne trouva jamais les coupables.

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Conclusion

Cela marqua en quelque sorte la fin d'une époque. De toute évidence, on ne permettrait plus jamais aux doukhobors de vivre de façon communale en Colombie-Britannique, comme ils l'avaient fait sous l'égide de la CCUB. Les fervents et dévoués Community Doukhobors formèrent la Union of Spiritual Communities of Christ (USCC) sous la gouverne de Peter Petrovich Verigin en 1938. Après sa mort, en 1940, son petit-fils, John J. Verigin, devint secrétaire des USCC.

La USCC, qui est la réincarnation spirituelle de son prédécesseur, la CCUB, compte la majorité des descendants actuels de la CCUB. L'intégration a permis à ce groupe de doukhobors (ainsi qu'à d'autres) de faire partie de la grande mosaïque canadienne. De nos jours, la USCC est avant tout une organisation spirituelle, plutôt qu'une entreprise comme le fut la CCUB.

Bien que certains aient jugé Peter Petrovich Verigin, dit « Chistiakov - le responsable de la purge », l'unique responsable de la chute de la CCUB, il est évident qu'en plus de son rôle, des facteurs internes et externes ont contribué avant et pendant son règne à l'échec de la plus grande entreprise communale de l'Amérique du Nord. Il parvint néanmoins à réduire de 750 000 $ les dettes de la communauté, qui s'élevaient à 1 250 000 $, et à payer un demi-million de dollars en intérêts et 300 000 $ en impôts.

* Peter « Lordly » Verigin et son fils Peter « Chistiakov » Verigin étaient dotés d'une forte personnalité. Ils étaient tous deux fascinants à leur manière. La vie de chacun pourrait faire l'objet de plusieurs livres. Ce que vous avez pu lire ici ne représente qu'une infime partie de leur histoire.