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La famille Diamond
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Port Elizabeth, baie Placentia, Terre-Neuve, Canada
ATTACHEMENT DE TEXTE


Crédits:
Marilyn Collins Pilkington

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Marilyn Collins Pilkington est née et a grandi à St. John's et n'a donc pas vécu la réinstallation. Sa mère a grandi à Flat Islands, mais a quitté l'endroit quelques années avant son mariage. Ses grands-parents se sont réinstallés à St. John's quand elle avait onze ans. Disons plutôt qu'ils ont choisi de s'y installer parce que toute leur famille y vivait déjà et qu'il n'y avait vraiment plus rien pour eux sur l'île après que son grand-père eut fermé son magasin.

Souvenirs de Marilyn :

J'avais onze ans quand mes grands-parents, Millie et Fred Diamond, sont partis de Port Elizabeth (que l'on appelait Flat Islands) pour venir s'installer à St. John's, où j'ai grandi. Ma dernière visite sur l'île remontait à quelques années déjà. Il semble qu'entre ma dernière visite et leur réinstallation à St. John's, j'avais pris l'habitude de passer mes vacances d'été avec mes autres grands-parents, dans la baie Notre-Dame. Par conséquent, comme la plupart de mes souvenirs de Flat Islands remontent à avant mes huit ans, ils ne sont pas aussi nets que je voudrais qu'ils soient. Beaucoup d'entre eux sont comme une suite d'impressions - des sons, des odeurs et des sentiments, pas toujours concrets, mais néanmoins particuliers à ce temps et à ce lieu.

De temps en temps, pour retrouver ces souvenirs, je ferme les yeux et je retourne en arrière. Je redeviens la petite fille en vacances sur Flat Islands :

Nous traversons la baie, nous sommes partis de Red Harbour et avons passé Elephant Head, et nous voguons vers l'île. J'aperçois mes grands-parents sur le quai comme le bateau approche. Je vois leur sourire, j'entends leurs paroles de bienvenue alors que des bras sont tendus vers nous pour nous aider à sortir du bateau. Nous parlons tous en même temps. Nous récupérons nos bagages et nous nous dirigeons vers la maison, qui n'est pas loin, mais qui semble loin pour mes petites jambes. Puis nous arrivons aux marches en ciment, au sommet desquelles se trouve la barrière qui s'ouvre sur le chemin serpentant la colline jusqu'à la maison de mes grands-parents. Avant même de m'en apercevoir, nous sommes arrivés; tout est comme avant.

C'est le matin maintenant. J'entends le chant du coq alors que je joue sur le porche de mes grands-parents. Nous sommes au milieu de la colline d'Osmond et je peux voir le brouillard qui enveloppe les maisons en contrebas. Les adultes discutent à l'intérieur, leurs voix me parviennent par la porte tandis que mon grand-père allume le poêle et que le petit-déjeuner se met en branle. Peu après, nous nous retrouvons tous assis à la grande table en bois de la cuisine. J'aime bien cette table. Elle a de petits tiroirs sur les côtés où ma grand-mère range ses couverts et d'autres articles. Nous mangeons des ?ufs frais cueillis au poulailler le matin même. Il y a du pain maison légèrement grillé sur le poêle, pas avec un grille-pain électrique - exactement comme je l'aime.

Mon frère et moi jouons. Nous courons dans la prairie. Nous faisons la course pour atteindre le magasin de grand-père. Je sens le vent dans mon dos et j'éprouve un sentiment de liberté que je n'ai jamais connu en ville. Je fais attention au crottin de mouton dispersé un peu partout et je prie pour ne pas tomber dedans alors que je cours.

Le magasin de mon grand-père sent le renfermé et l'humidité, mais ce sont des odeurs réconfortantes. Je vois le comptoir à droite et les marchandises sèches à gauche, et une grande échelle en métal suspendue au plafond. Mon grand-père nous a entendus pousser la porte. Il passe la tête hors de son arrière-boutique et s'approche pour nous saluer. Puis il soulève la trappe au bout du comptoir et nous descendons à la cave où nous attendent des bouteilles de boisson gazeuse incroyablement froides. Il y a des barres de chocolat et des chips. Tout ce que nous voulons et il n'y a qu'à se servir.

Mon frère décide de m'amener en bas au chafaud de notre oncle Fred Gosling. Je peux goûter l'air salin tandis que l'odeur du poisson évidé remplit mes narines. Je traverse le chafaud en faisant attention, car les planches sont très espacées et je peux apercevoir l'eau en dessous, où flottent des têtes de poisson et des morceaux de tripes et d'autres choses encore que je ne peux pas nommer. Mon frère se sent à l'aise ici, mais pas moi. Je suis terrifiée à l'idée de perdre pied et de rejoindre les têtes de poisson. Les hommes sont rassemblés dans un coin où ils éviscèrent les poissons et discutent entre eux. Ils ne font pas vraiment attention à nous et apparemment on ne les dérange pas non plus. Je dis à mon frère que je veux partir.

Quelque temps plus tard - un jour, une semaine, un an? - ma s?ur aînée m'emmène pour une promenade à Paddle's Point. À un moment donné, il faut s'accrocher à une vieille rambarde pour grimper, ce qui m'enchante. Je n'ai jamais rien vu de tel. J'ai un peu peur aussi, mais je suis une grande fille maintenant et j'entends bien aller jusqu'au bout.

Maintenant, je suis dans la cuisine de ma grand-mère. Il y a un gros poêle à bois et un lit de repos, ce que nous n'avons pas à la maison. Il y a aussi une magnifique baie vitrée par laquelle on peut admirer tout le port. Dickie Gosling passe pour dire bonjour. Je suis assise dans la chaise berçante de ma grand-mère et je bavarde avec lui. Nous avons une grande conversation, à propos de quoi, je ne sais pas, mais ce qui importe c'est ce sentiment chaleureux qui existe entre nous. L'année suivante, alors que je ne suis pas là, il dit à ma mère qu'il est déçu que je ne sois pas venue, car je suis la seule, dit-il, avec qui il peut vraiment discuter. Je n'ai jamais reparlé avec lui, car il est mort subitement quelques mois après.

J'ai une foule d'autres souvenirs - certains plus éphémères que d'autres -, mais l'un de ceux qui resteront toujours gravés dans ma mémoire est le moment où il faut se dire au revoir sur le quai du gouvernement.

Mon oncle Ray Clarke est venu nous chercher pour nous amener à Red Harbour où nous attend la voiture qui nous ramènera à la maison. Mes grands-parents sont sur le quai pour nous dire au revoir, nous nous embrassons, nous nous disons des « je t'aime » avant de s'asseoir dans la barque de l'oncle Ray. Je les vois encore, presque suspendus dans le temps, leurs silhouettes minuscules faisant des signes d'adieu tandis que nous voguons vers le large. Je crois que ce fut la dernière fois. Un sentiment m'envahit, une tristesse inexplicable, l'impression que quelque chose ne sera plus jamais comme avant.

Quelques années plus tard, j'ai entendu ma mère parler avec une voisine au sujet de la réinstallation. Elle disait que les jeunes seraient partis quand même, mais qu'elle était désolée pour les gens plus âgés. L'île, disait-elle, était le seul foyer que la plupart d'entre eux avaient connu, et elle leur manquerait beaucoup. Elle pensait que ce n'était pas juste de les faire partir à ce moment-là de leur vie.

Je partageais ses sentiments. Je ne pouvais pas croire qu'on demandait aux gens de quitter leurs maisons et que des communautés entières cesseraient d'exister. Tout ça n'avait aucun sens.

Ces événements remontent à plusieurs dizaines d'années maintenant. Les personnes âgées sont mortes, de nouvelles communautés ont pris racine. Le monde a changé et nous devons tous faire avec. Mais que j'aimerais y retourner une fois, ne serait-ce que pour un moment, et retrouver tout cela, comme c'était avant...

3

Millie et Fred Diamond
Port Elizabeth, baie Placentia, Terre-Neuve, Canada


Crédits:
Marilyn Collins Pilkington

4

La famille Diamond
1960-1970
St. John's, Terre-Neuve, Canada
ATTACHEMENT DE TEXTE


Crédits:
Judi Collins-Barter

5

La fenaison
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Port Elizabeth, baie Placentia, Terre-Neuve, Canada
ATTACHEMENT DE TEXTE


Crédits:
Marilyn Collins Pilkington

6

Dans le jardin
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Port Elizabeth, baie Placentia, Terre-Neuve, Canada
ATTACHEMENT DE TEXTE


Crédits:
Marilyn Collins Pilkington

7

Magasin Diamond
Port Elizabeth, baie Placentia, Terre-Neuve, Canada
ATTACHEMENT DE TEXTE


Crédits:
Marilyn Collins Pilkington

8

Maison de la famille Diamond
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Port Elizabeth, baie Placentia, Terre-Neuve, Canada


Crédits:
Marilyn Collins Pilkington