8. 1 Du canot à l'océanique
Lieu de passage essentiel, la région de Soulanges a vu ses eaux traversées par une multitude d'embarcations transportant marchandises et passagers. Graduellement, les canots d'écorce amérindiens seront remplacés par des navires aux dimensions toujours plus considérables et aux techniques de propulsion sans cesse améliorées. Cette nouvelle réalité, associée avec l'intensification du trafic maritime au cours du 19e siècle et à la concurrence du port de New York ouvert toute l'année, obligeront les autorités canadiennes à uniformiser le réseau de canaux entre Montréal et les Grands Lacs. Ainsi lorsqu'en 1903, l'ensemble de ces travaux d'aménagement fut complété, le pays pouvait dès lors compter sur une immense voie intérieure navigable sur plus de 3 800 kilomètres et parcourue par 114 kilomètres de canaux. Ces constructions accueillaient, en raison de leur taille considérable, des écluses pouvant désormais contenir des navires qui mesuraient près de 77,7 mètres de longueur par 13,38 mètres de largeur1. Cette innovation maritime importante permettait aux bâtiments de réaliser l'ensemble du trajet en évitant les coûteux transbordements de marchandises autrefois nécessaires.
1. Yvon Desloges et Alain Gelly. Le canal de Lachine : du tumulte des flots à l'essor industriel et urbain, 1860-1950. Sillery, Septentrion, 2002, pp. 62-64.
Crédits:8.2 L'apparition des « canaliers »
Ce réseau de canaux favorisera cette disparition graduelle des voiliers et des barges au profit de navires mieux adaptés face à ces récents progrès. Le canal de Soulanges sera un témoin privilégié de ce point de rupture. Comme le soulignent les historiens Yvon Desloges et Alain Gelly, jusqu'au début du 20e siècle, la majorité des bateaux naviguant sur le fleuve et les Grands Lacs étaient des voiliers à deux ou à trois mâts (schooners) et ce, malgré l'apparition des premiers vapeurs vers 18401. Durant cette période, les armateurs utilisaient également des barges pour transporter le fret. Elles étaient tirées par des remorqueurs ou des câbles de halage. Leurs dimensions plus modestes leur conféraient un avantage qui s'est rapidement éclipsé avec l'uniformisation du réseau. Toutefois, les compagnies maritimes moderniseront progressivement leur flotte et substitueront les voiliers et les barges par des bâtiments conçus spécifiquement pour les canaux du Saint-Laurent. Ces navires à vapeur portant le surnom de « canaliers » (cannaller) mesuraient généralement 68,5 mètres de longueur par 12,5 mètres de largeur. Ils pouvaient recueillir près de 2 800 tonnes de minerai de fer ou 106 000 boisseaux de grain2. Qu'ils aient été conçus comme charbonniers, cimentiers, pétroliers, transporteurs de bois ou de pulpes, les « canaliers » n'étaient pas créés pour leur rapidité, mais pour leurs tailles maximisées par rapport aux dimensions des écluses. Malgré cet inconvénient, leurs autres innovations techniques, combinées à l'amélioration du système de canaux, permettaient de réduire considérablement le temps que mettait ce type de navire pour parcourir le réseau du Saint-Laurent. Par exemple, en 1935, un aller-retour Montréal-Chicago pouvait durer moins de 12 jours3.
1. Yvon Desloges et Alain Gelly. Le canal de Lachine : du tumulte des flots à l'essor industriel et urbain, 1860-1950. Sillery, Septentrion, 2002, p. 62.
2. François Cartier. Canal de Soulanges. D'un défi à l'autre. Les Coteaux, Société de développement du canal de Soulanges / Musée régional de Vaudreuil-Soulanges, 1999, p. 68.
3. Yvon Desloges et Alain Gelly, op. cit., p. 87.
Crédits:8.3 Les premiers océaniques
Avant 1935, les « canaliers » régneront pratiquement en maîtres sur la voie navigable du canal de Soulanges. Mais à partir de cette date apparaîtront les premiers océaniques capables de relier directement les ports européens et les eaux des Grands Lacs. Ces navires souvent de fabrication hollandaise et suédoise pouvaient à la fin des années 1950 emprunter annuellement près de 140 fois le canal de Soulanges5. Néanmoins, leur présence sur cette voie navigable était restreinte si l'on considère que durant la même période, une moyenne de 24 navires par jour transitait par le même trajet. Les dimensions toujours plus considérables des embarcations parcourant le canal de Soulanges sonneront le glas de cette installation puisque la taille des écluses ne pouvait répondre indéfiniment aux impératifs économiques. L'ouverture de la voie maritime du Saint-Laurent, en 1959, scella définitivement le sort de cet ouvrage qui était jadis considéré par plusieurs comme l'une des plus grandes prouesses techniques de la fin du 19e siècle.
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