L’art populaire, l’art funk et autres connexions
L’art vernaculaire a toujours été très populaire en Saskatchewan. Cette popularité remonte aux années 1950 alors que les collectionneurs, les musées d’art et les revues d’art ont commencé à s’y intéresser :
De toutes les provinces de l’Ouest canadien, la Saskatchewan possède le plus grand nombre d’artistes autodidactes (c’est-à-dire non formés) connus, la plus longue histoire d’exposition de leurs œuvres et les relations les plus complexes entre les artistes non formés et formés, les derniers considérant les premiers comme des collègues.
Cette connexion et ces échanges particuliers entre les artistes ayant suivi une formation artistique et ceux et celles ayant appris par eux-mêmes rendent l’histoire de la Saskatchewan unique.
L’intérêt envers l’art vernaculaire ou populaire en Saskatchewan a pris de l’ampleur lorsque, dans les années 1970, une nouvelle génération d’artistes a cherché à s’éloigner de l’art abstrait qui était dominant dans le monde artistique de New York et d’autres grandes villes nord-américaines. Ces artistes, notamment Joe Fafard, Victor Cicansky, Russell Yuristy et David Thauberger, voulaient faire de l’art sur leur milieu, leurs expériences et leurs origines. Ils s’intéressaient au travail des artistes vernaculaires qui, bien que non formés, illustraient la vie dans les Prairies en offrant un exemple d’art régional reconnu et valorisé à l’échelle nationale. Ces artistes trouvaient aussi leur inspiration dans les céramiques du mouvement California Funk.
Le style « West Coast » des céramiques du California Funk se servait de l’humour et du surréalisme pour explorer la vie de tous les jours et la culture populaire. Cicansky, Thauberger et Fafard ont été influencés par leurs études en Californie. Là-bas, ils se sont sentis encouragés à mettre en valeur leur culture des Prairies à travers leur pratique artistique. Pendant ses études à la University of California, à Davis, Cicansky a rencontré David Gilhooly, un artiste funk californien. Gilhooly viendra éventuellement enseigner la céramique au département des beaux-arts de l’Université de Regina.
Gilhooly remettait en question les formes d’art traditionnel et affirmait que les gens ordinaires pouvaient, eux aussi, créer de l’art. Le style abstrait avait influencé la peinture et la sculpture à l’université depuis les années 1950. Ce mouvement artistique, devenu le Regina Funk a servi de contre-culture au style abstrait. C’était le début d’un fascinant mouvement en céramique dans les Prairies. L’argile était un parfait matériau pour Gilhooly et les artistes du Regina Clay ou du mouvement funk, pour défier les arts traditionnels. Ils l’ont utilisée pour expérimenter de nouvelles choses, pour explorer et créer des œuvres où le jeu et les récits personnels sont très présents. C’est à Regina que Gilhooly a créé sa série Frog World. Les grenouilles en céramique étaient de célèbres figures historiques ou des scènes recréées à partir de l’histoire de l’art tout comme le pot à biscuits Galatea.
Les artistes du Regina Funk savaient qu’ils partageaient des valeurs artistiques avec de nombreux artistes vernaculaires sans formation artistique. Ils se sont liés d’amitié avec eux et ont commencé à collectionner leurs œuvres. En 1976, David Thauberger participe à l’organisation d’une exposition intitulée Grassroots Saskatchewan à la Norman MacKenzie Art Gallery mettant en vedette les œuvres de seize artistes vernaculaires de la Saskatchewan. La même année, Fafard, Yuristy, Thauberger et Cicansky collaborent avec des artistes comme Frank Cicansky, Molly Lenhardt et Ann Harbuz pour créer Grain Bin, un diorama fantaisiste des Prairies, pour les Jeux olympiques de Montréal.
Les connexions et le respect mutuel entre ces artistes sont évidents dans les portraits que Molly Lenhardt a peints de Thauberger, Cicansky et de la famille Fafard. Thauberger est connu pour avoir créé des œuvres en hommage à des artistes vernaculaires. A Prairie Piece, par exemple, fait référence à la peinture sans titre de Wesley Dennis qui montre deux moissonneuses-batteuses dans un champ. Son caisson lumineux lenticulaire, Prairie Sentinel/Winter Sentinel, est un hommage à William McCargar. Celui-ci était bien connu pour reprendre le sujet de l’élévateur à grains à de multiples reprises, avec la même perspective, à différents moments de la journée et à différentes saisons.
Joe Fafard a aussi créé des portraits en argile d’artistes vernaculaires tels que Harvey McInnes, William McCargar et Jan Wyers, pour qui il avait une grande admiration.