14

Peinture rupestre au rocher Manitou
2011
Lac Simon, Petite-Nation (Québec) Canada


Crédits:
Nicole Catellier, Cinémanima

15

L’île Canard Blanc

Le lac Simon fait partie du territoire ancestral des Algonquins Weskarinis. La forme primitive du nom Ouaouechkaïrini ou Ouescharini, rapportée par Samuel de Champlain le 3 juin 1613, signifie Peuple du Chevreuil. Situé dans le lit de la rivière Petite-Nation, le lac servait de voie de communication entre les campements d’été et d’hiver avant de céder à la colonisation et au flottage de bois. Il compte un archipel de dix îles et îlots dont l’île Canard-Blanc sur laquelle la légende du serpent de mer a pris naissance.

Le lac à Simon Kanawato

Le premier Simon, celui qui a donné son nom au lac, s'appelait Simon Kanawato. Il fut baptisé enfant inconnu à 11 ans, le 23 juillet 1808 à Oka, du nom de Simon. Charles Ganawato ou Kanawato, un Iroquois d'Oka qui l'avait amené de Grand Portage, l'adopta. De la nation des Cris, il avait été iroquoisé sous le nom de Simon Taniharons.

À la mission, on refusa de le marier à la femme qu'il avait choisie et avec qui il avait déjà plusieurs enfants. Simon Kanawato et sa famille furent chassés du village iroquois. Ils habitèrent sur l'île Canard Blanc après cette date, vers 1820. [...]

Simon Kanawato et « l'Outaoise »  Marie Anne Otajawadjiwanokwe vivaient ensemble depuis 20 ans lorsque Monseigneur Ignace Bourget les dispensa du second degré d'affinité. Ils s'épousèrent le 23 juillet 1838 à Oka. Ce jour-là, il y eut deux autres mariages.

Leur fils Benjamin dit Matchikiwis, matchikiwis veut dire fils aîné, épousa Marie-Louise Kiwandawekwe, la fille de Catherine Wasseiabanokwe  et de Jacques Kije-Mite dit Commandant de la nation des Nipissingues.

Ces derniers marièrent aussi leur fils Simon Wabiginis à Charlotte Pajitakwatamokwe, la fille d'André Pekasiketch ou Pecacasiquèche et d'Élizabeth Pinessiwabanokwe. Ceux-là étaient les grands-parents d'Amable Canard Blanc. Ainsi s'est nouée les Simon, Commandant, Canard Blanc, qui chassaient sur leurs terres dites des Algonquins de la Petite-Nation.

Simon Kanawato dit Blanc se dira Simon Leblanc. Benjamin, le fils à Simon, deviendra par assimilation Benjamin Simon. [...]

Simon Kanawato décéda le 11 juillet et fut inhumé le 14 juillet 1874 dans le premier cimetière de Hartwell, près de l'ancienne chapelle qui domine le lac Simon. [...]

Le lac Simon servait au flottage et à la drive. Les billots étaient destinés aux scieries de Hull. Un petit vapeur les engageait dans la Petite-Nation à la chute du lac Barrière. La forêt reculait, la vie nomade s'éteignait. Vingt-cinq Algonquins résidaient dans Hartwell en 1885.

« La forêt cessa d'être à eux seuls. [...] Des maisons de troncs de cèdres lavés de chaux surgirent. D'autres canots que les leurs sillonnèrent leur grand lac. Ils se virent [...] en vingt ans, environnés par leurs frères les Visages Pâles. » (Albert Ferland )

Wabishib ou Amable Canard Blanc naquit le 28 décembre 1834 « dans les terres de chasse des Algonquins » et fut baptisé AmablePekakasiketch, à Oka, le 8 juin 1835. Ses parents étaient Nipissingues. Sa mère était la fille de Mathias Chabakawatch et d'Élisabeth Okitchitchiwanokwe. Son père était le fils d'André Pekasiketch et d'Élisabeth Wasekijikokwe.

Mariés en 1818, Joseph Pekakasiketch et Cécile Panosinokwe vivaient au village d'Oka et eurent dix enfants ensemble. Au printemps, ils revenaient de leur terre de chasse à Oka, à la mission dite mission des Sauvages, où les familles renouaient entre elles. Pierre-Mathias, le frère d'Amable, fut recensé à Arnprior en 1871 sous le nom de Peter Whiteduck. Aux registres d'Oka, il apparaît sous Mathias Pekakasiketch dit Canard Blanc et Pierre-Mathias Wabichip Canard Blanc à son décès, le 26 septembre 1897.

Amable Canard Blanc s'est marié, à Oka, sous le nom d'AmableKanaabanoketch à Louise Minawasikekwe, le 14 juillet 1857. Louise était la fille de Simon Kanawato et de Marie-Anne Otajawadjiwanokwe. Selon la tradition, le couple demeura dans la famille de l'épouse. Il s'installa dans l'île à Simon Kanawato en 1861.

Amable Canard Blanc habita donc sur l'île avec sa famille de onze enfants, comme avant lui son beau-père Simon Blanc avant lui. Leur petite maison en pièce sur pièce reposait en retrait de la plage dans l’entourage des bouleaux. La partie sud de l’île était défrichée, on y voyait un champ cultivé, un potager derrière la maison, une écurie, une grange.

Installé dans l’île après son mariage à Oka à Louise Simon, il vécu de chasse et de pêche, vendit ses pelleteries, fabriqua des canots d’écorce, guida les forestiers qui ouvraient la forêt au chemin de fer pour la compagnie Singer. Sa renommée remonte au temps où il servait d’interprète entre les arpenteurs du Pacifique Canadien et les Indiens de l’Ouest. Canard Blanc avait grandi en Ontario sur les terres de chasse de son père, le chef de guerre Joseph Pekasiketch.

En janvier 1900, Canard Blanc tente d’obtenir des Terres et Forêts le droit de faire du bois de commerce en pruche sur l’île. Il rappelle au ministre qu’il a toujours entendu dire que cette île leur avait été donnée pour résider comme une réserve. Le ministère de la Colonisation n’émettra les lettres patentes que le 21 novembre 1921 à Louise Simon lui octroyant la portion sud d’une superficie de cent acres.

Acquise l’année suivante dans la controverse selon des témoins de l’époque, l’hôtelier Pierre Strasbourg fait construire un hôtel de quatorze chambres offrant salle à manger et salon avec piano que fréquentent des touristes de New-York durant la belle saison. Dans les années 1940 et 1950, les pensions se multiplient autour du lac, les plages de sable séduisent les vacanciers toujours plus nombreux à l’île, des excursions sont organisées au lac des Étoiles où on a construit un pavillon en bordure de la rive ouvert sur la forêt, sur le lac, sur la beauté tranquille des lieux.

Autrefois réservé à une clientèle sélecte, l’hôtel Strasbourg tombait en ruines dans les années 1960 et passait pour un manoir hanté et fut démoli.

Louise Simon et Amable Canard Blanc, les derniers Algonquins de la Petite-Nation à avoir occupé l’île, ont été inhumés au cimetière du village de Chénéville. Amable Canard Blanc quitta ce monde le 19 septembre 1931, à l'âge respectable de 97 ans. Les fondations des bâtiments de la ferme et de leur maison ont disparu sous le couvert de la forêt. À ce jour, aucune fouille archéologique n’a été entreprise sur l’île Canard-Blanc.

La municipalité de Lac-Simon a aménagé le sentier de l’île et une halte au lac des Étoiles en respectant l’esprit des lieux et invite le randonneur à fouler un site patrimonial qui n’a pas encore livré ses trésors archéologiques.

Sources : Municipalité de Lac-Simon
http://www.lac-simon.net/histoire.php
L’île Canard-Blanc, © 2011 Recherche photos texte Jean-Guy Paquin
http://www.lac-simon.net/administration/ckeditor/ckfinder/userfiles/files/Lac-Simon-maquette-V5_Part2.pdf

16

Vue d’ensemble du rocher Manitou avec ses peintures rupestres
2011
Lac Simon, Petite-Nation (Québec) Canada


Crédits:
Nicole Catellier
Cinémanima

17

Le lac des Étoiles ou la légende du serpent de mer

On peut voir représenter parmi les peintures à l’ocre rouge sur le rocher Manitou du lac Simon le grand serpent à cornes Michikinebik. Cette légende fut recueillie sur les bords du lac des Étoiles et publiée les 6 et 13 juin 1896 dans un quotidien de Montréal sous le titre : Le serpent de mer de Canard Blanc _ André-Napoléon Montpetit correspond au Soir de Montréal.

Il a dans ses bagages le carnet de notes qu’il alimente pour son livre Les poissons d’eau douce au Canada. Son ami Charles Christin, parti d’Ottawa le matin, l’attend à la gare de Papineauville. Christin lui a parlé du lac Simon, d’Amable Canard Blanc, d’un lac sur une île gardée par un dragon. Ils arrivent à Chénéville le soir du 15 juillet 1893 et logent chez le père Pambrun qui tient le moulin à scie et à farine près du pont Rouge à la sortie du village. Le lendemain, les pêcheurs se font conduire à l’île chez Canard Blanc.

Des peaux de chevreuil, d’ours, de loutre, de raton-laveur pendent aux branches des arbres devant sa maison face à la grande plage en forme de pointe de flèche. Au nord, à deux cents pas de la grange, les broussailles de framboisiers s’interposent devant la majesté séculaire du bouleau jaune, du tilleul, du hêtre, du pin blanc, de la pruche qui jettent un rideau vert de feuilles aux yeux des visiteurs et cachent le sentier qui va au lac des Étoiles. Canard Blanc écoute, parle peu. Son fils Hyacinthe les guidera.

Encaissé sur le dos de la montagne, le lac se déverse sur le flanc est de l’île et dévale d’une hauteur d’environ trente mètres dans un lit éventré de roches et de fougères humides. Son eau trouble contraste avec l’eau claire du grand lac.

L’eau, répond Hyacinthe, n’a pas toujours la couleur qu’elle a aujourd’hui. Il ne veut pas en parler. Son père ne veut pas qu’il en parle. Montpetit s’approche, insiste. Pour ne pas que son père l’entende, de peur que sa voix ne file à travers les branches jusqu’à lui, il couvre sa bouche dans l’ombre de sa main : Il dit que c’est… le serpent de mer.

Il paraît qu’il y a au fond du lac, un gros serpent noir qui n’en sort que lorsqu’il a faim ou qu’il se sent trop chauffé, car le lac est si profond qu’il touche aux voûtes de l’enfer, et que, par temps, l’eau devient bouillante. Si le serpent est en appétit, il monte à la surface et gagne le lac Barrière par la coulée que vous voyez là. La vase remonte avec lui et prend plus de huit jours avant de se reposer.

Je vois qu’à l’heure qu’il est, le serpent est en chasse dans le grand lac. Cela m’explique pourquoi nous n’avons pas pris un seul poisson depuis huit jours. Dès qu’il se montre dans le grand lac, le poisson, saisi de frayeur, se cache dans les coins et recoins, et cesse de mordre jusqu’à ce que le monstre repu retourne à son repaire. b Gardien des traditions orales, Canard Blanc préservait le caractère sacré du lac des Étoiles tout comme ses ancêtres. Dans les années 1950, la popularité de l’île était soutenue par les activités du propriétaire de l’Auberge du Canard Blanc, Raoul Gadbois.

On lui doit les tours guidés sur le lac Simon au rocher Manitou et à l’aménagement d’un pavillon au lac des Étoiles. Son ami le poète Robert Choquette avait imaginé ce nom sans se douter qu’il rêvait devant le refuge du serpent de mer.

Source : Recherche photos texte Jean-Guy Paquin
http://www.lac-simon.net/administration/ckeditor/ckfinder/userfiles/files/Lac-Simon-maquette-V5_Part1.pdf