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Barachois et l'Acadie, à travers les aboiteaux
12 décembre 2002
Acadie
ATTACHEMENT AUDIO


Crédits:
Dessin: Bernard LeBlanc, Moncton N.B.

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M. Adolphe LeBlanc, de Memramcook, N.-B.
En entretien avec le Père Anselme Chiasson
Le 7 septembre, 1959.

P. Anselme: Beaucoup de gens ignorent ce que c'est les aboiteaux. Monsieur LeBlanc les a vu, et il va nous les décrire.

Monsieur LeBlanc, comment c'est fait, un aboiteau?

Adolphe LeBlanc: Bien, mon cher ami, une aboiteau qu'on appelle nous autres, les Acadiens ici aux provinces Maritimes, veut dire une place pour prendre les eaux douces, les eaux de la terre haute. On appelle ça le doucin; les vieux disaient: "Le doucin s'en va à la rivière". Il y a toujours une rivière. On a nos marais, et puis ces marais-là ont toujours des grands canals, des grands fossés qui s'en vont naturellement à la rivière.

Ensuite l'eau des terres hautes, dans les doucins du printemps, on appelle toujours ça l'eau douce, le doucin, faut que cette eau-là s'en alle à la rivière. Mais, pour conserver nos marais, on est obligé de faire des levées, ce qu'on appelle une levée chaque bord du canal, et faire une aboiteau à la tête du canal, lorsque le canal arrive à la rivière même. Il faut faire ce qu'on appelle une aboiteau.

Une aboiteau se compose comme ceci: Il faut le premier, on fait une dalle, en haut, sur les côtes, on appelle ça une dalle. C'est fait avec du bois. L'en premier, ils les faisaient toutes en bois. Maintenant les clapets sont faits aujourd'hui en ce qu'on appelle, en copper. La mode est changée un peu, mais nos vieilles dalles, nous autres, nos vieilles aboiteaux, de cinquante, soixante, quatre-vingt ans passées, où cent ans même, étaient faites de bois, avec des pièces.

Ensuite, c'est une dalle, le passage serait de quatre pieds, trois pieds, ça dépend la grandeur du ruisseau; et pis cette dalle-là on compose, on met deux clapets, qui sont dans la dalle, un d'un bout, l'autre à l'autre. Ils sont pas absolument au bout, ils sont à quelques pieds du bout. Maintenant ils sont faits, ce qu'on appelle, avec du bois. C'est une grosse porte en plainques, avec ce qu'on appelle des tourillons, les vieux appellaient ça, des tourillons. Et puis ce tourillon-là est en haut, naturellement; puis la dalle, le clapet est plus long. Il reste un peu en biais dans la dalle.

Maintenant, quand l'eau salée de la rivière monte, a presse le clapet sur la dalle; a peu pas rentrer parce que la pesanteur de l'eau le ferme tight, de l'eau peut pas venir dans nos marais. Ensuite, quand le doucin vient, l'eau douce de la terre haute, et que la mer est basse, parce qu'ici nous autres chez nous, aux provinces Maritimes, à Memramcook, ou à Dorchester, ou à Sackville, ou à Grand-Pré, la mer vient naturellement basse. Et là, si le canal est plein, ou qui mouille, quand le doucin vient, il pousse le clapet qu'avait devenu tight par l'eau salée; l'eau douce le lève et là l'eau s'en va toute à la mer. Ensuite quand l'autre marée remonte, elle ferme les clapets encore, et puis nous avons pas l'eau salée, l'eau de la mer nous abîme pas, on conserve nos prés.

Centre d'études acadiennes, Université de Moncton


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Terres basses drainées, près de La Rochelle, France
22 janvier 2003
France
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Crédits:
Photo: R.G. LeBlanc

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ABOITEAU. Se prononce abouéteau

Écluse de levée. La levée est une digue qui protège les préés naturelles contre l'irruption des hautes marées de la baie de Fundy. L'aboiteau est muni d'un clapet qui se ferme automatiquement à la marée montante et s'ouvre de même à mer basse facilitant, dans ce dernier cas, l'écoulement des eaux intérieures.

Dièreville (p. 47) prétend que les Acadiens disent aboteau. Je n'ai jamais entendu prononcer le mot autrement qu'abouéteau.

L'origine de ce mot a fait couler joliment d'encre. Les savants en -us le ramènent au latin: abotare, abotum, abotamentum. J'ai peu de foi aux origines latines des termes qui se rapportent à l'industrie des travailleurs de la terre dans les Gaules. Ce sont presque tous des mots du terroir que les légionnaires romains ont affublés d'un suffixe en - us ou en - um pour leur donner un visage latin, comme nous faisons des mots anglais, surtout des verbes, que nous introduisons dans notre parler; mais ce sont, pour la presque totalité, des mots d'origine celtique ou tudesque.

Cotgrave, contemporain de (Pierre du Gua) de Monts, rapporte ceci dans son dictionnaire: "Abbée: A hole or overture for the passage of some part of a stream that's held in by a dam, sluice, etc.". La langue romane, l'ancien français, donnait à abée ou abbée le sens que lui donne Cotgrave. Le français a repris bée avec le même sens également. Abbée, c'est bée, plus le préfixe "agglutinatif" la: la bée. Les Wallons avaient le mot bate pour digue. Je crois que c'est de ce côté-là qu'il faut chercher le radical de abouéteau. En retranchant l'article la et le suffixe -eau (le t est une lettre euphonique intercalaire, mis ici pour éviter l'hiatus), il reste bée ou bouée.

L'on prétend que les Acadiens ont emprunté aux saulniers de la Saintonge l'art de construire les aboiteaux. Cela est fort possible. Mais le mot se prononce aboteau en Saintonge. D'autre part, Rabelais (XVIe siècle) fait mention des écluses de Vienne, près de Poitiers. Ceci montre que les Poitevins connaissent également la manière de construire des aboiteaux. Ce qui paraît ressortir de tout ce qui précède, c'est que ces sortes de constructions ont été de tout temps pratiquées le long de la Loire et de ses affluents. Les grands faiseurs d'aboiteaux et de levées sont les Hollandais de la Zuiderzee.

Pascal Poirier, Le Glossaire acadien, Moncton, Centre d'Études acadiennes / Les Éditions d'Acadie, 1995, p. 10 - 11

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Zones d'assèchement de marais avant 1755
15 février 2003
Acadie
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Crédits:
Carte: André Richard

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Les principales zones de colonisation agricole par les Acadiens des XVIIe et XVIIIe siècles étaient situées sur les terres basses entourant la Baie Française (aujourd'hui la Baie de Fundy) et ses tributaires.

Phénomène océanographique, dans cette région le marnage, c'est-à-dire la différence entre les niveaux de la mer aux hautes et basses marées, est particulièrement important. Il en résulte que les marais côtiers naturels submergés aux marées hautes équinoxiales sont vastes et plats, avec un sol enrichi par des millénaires de dépôts d'alluvions. En outre, la technique de l'assèchement et de dessalage de ces marais côtiers au moyen de levées et d'aboiteaux, est rendue relativement efficace, obtenant de grandes étendues d'espace agricole contre un effort donné, comparativement à d'autres régions où le marnage est de moindre envergure.

Chassés du gros de ce territoire lors du Grand Dérangement de 1755 - 1763, les Acadiens ayant échappé à l'exil et leurs descendants ont éventuellement fondé de nouvelles communautés, notamment le long des rives du Golfe du Saint-Laurent. Ils ont apporté leurs connaissances techniques de l'assèchement des marais et les ont appliquées là où les conditions physiques et économiques s'y prêtaient.

Claude E. Léger

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Construction d'une levée et d'un aboiteau (ANC, PA126451)
1900
Nouvelle-Écosse (?)
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La levée se compose de éléments de glaise ou de terre grasse. Une est la motte qui sert à remplir la partie intérieure. Cette motte qui est coupée avec une ferrée qui est une espèce de pelle en acier dont l'usage est surtout consacrée à la confection de ces levées. Cette ferrée large de cinq pouces et longue de douze pouces coupe la motte exactement de cette dimension.

L'autre élément est ce qu'on appelle le "parment", qui est une pleuse bien herbée, soit d'herbe de chiendent ou de "grande herbe". Ce parment sert comme de mur à chaque côté pour retenir les mottes en place. Ces parements coupés sur une figure géométrique absolument uniformes et placés côte à côte du haut en bas de la levée de manière que ni les pluies ni l'eau de la mer ne peuvent désengréger ces pleuses qui sont formées comme un (...) formé par les racines d'herbes et qui les rendent presque indestructibles.

Et après un an ou deux cette herbe dont les racines se sont fortifiées et ramées couvrent toute l'extérieur de cette levée d'un gazon très solide. Ces murs sont faits en talus afin que la pluie et l'eau s'écoulent facilement pour ne pas détériorer l'extérieur de ces murs.

Placide Gaudet

Manuscrit, Centre d'études acadiennes, CEA 1.81-1

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Marais près de Wolfville, N.E. (ANC, PA126451)
1900
Wolfville, Nouvelle-Écosse
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La construction des levées et des aboiteaux en terre acadienne, surtout en ancienne Acadie mais aussi au retour des dispersés de 1755, venus reconquérir la patrie qu'ils avaient fondée eux-mêmes de toute pièce et de leurs propres mains, après 1604, est une histoire empreinte de courage et d'héroïsme, qui a profondément marqué le caractère des Acadiens.

On nous dit qu'il y a un peu plus, d'un demi-million d'acres de terres, sous le niveau de la mer aux pays des Maritimes, qui comptent parmi les plus productives de notre pays. Il semble que ce n'est qu'après avoir goûté de l'eau salée et assimilé les varechs et autres déchets marins, que ces terres basses, prés ou marais, ont acquis une si prodigieuse fertilité.

Mais à l'horizon de ces terres si riches, planait toujours une constante menace - l'océan Atlantique avec ses marées en état perpétuel d'alerte veut toujours reprendre ce sol que l'homme lui a volé.

J. Médard Léger

La Société historique acadienne, 2e cahier, Moncton (N.-B.) 1962

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Définition du mot 'aboiteau', avec croquis
22 janvier 2003
Musée acadien, Université de Moncton


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Dessin et texte: Bernard LeBlanc, Moncton, N.B.

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Marais de Dieppe, N.B., avec brise lames
1984
Dieppe, N.-B
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Crédits:
Photo: Musée Acadien, U. de Moncton

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Là où la mer a le plus contribué à créer un genre de vie spécial chez les Acadiens, c'est certainement dans la formation des marais qu'ont endigués les hommes.

Chaque habitant avait la garde de sa "hart", c'est-à-dire, la partie d'aboiteaux qui bordait sa terre près de la mer ou de la rivière. Les aboiteaux avaient l'avantage de réunir au travail d'irrigation tous les habitants du village, et ils créaient de solides liens communautaires.

Des tempêtes exceptionnelles détruisaient parfois en une nuit presque tous les aboiteaux de certaines régions; les Acadiens se rappellent, ou ont entendu raconter que, le 3 novembre 1759, l'eau monta six pieds au-dessus des plus hautes marées, et que presque toutes les levées furent rompues. A l'automne 1869, le long de la rivière Petitcodiac, presque toutes les digues furent emportées par la marée (Les Aboiteaux, dans La Nation, 14 mars 1929)

Jean-Claude Dupont

Extrait de Culture Vivante
Ministère des Affaires culturelles du Québec, 1976

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Brise lames, Beaumont (Memramcook), N.B.
1984
Beaumont (Memramcook) N.-B
ATTACHEMENT DE TEXTE


Crédits:
Photo: Musée Acadien, U. de Moncton