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La plus grande de toutes les forces... la nature!

Vivre ou travailler près de l’eau, c’est partager sa richesse, mais aussi ses dangers. C’est sentir son embarcation chavirer. C’est subir les débordements d’une rivière qui, sortant de son lit, envahit le quotidien des riverains, inondant au passage des terres agricoles, des résidences, des commerces. C’est pleurer la mort d’un enfant attiré par les beautés de l’onde ou voir des vies cruellement emportées dans les profondeurs d’une rivière par de puissantes coulées d’argile charriées par l’eau.

Au fil du temps, les régions de la Petite-Nation et de la Lièvre ont connu bon nombre d'événements de type catastrophique en lien direct avec l'eau qui les entoure. Ces événements étaient,dans certains cas, des incidents sans conséquences directes sur l'homme, tel les pertes de vies humaines, mais ils ont ont façonné la terre et définitivement marqués les mémoires des gens qui les ont vécu.

Nous vous proposons, dans la présente chronique, de découvrir certains de ces événements qui ont marqués notre territoire et les mémoires des gens qui l'habitent.

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Bâtiments de ferme transportés par l’éboulement de 1903 à Poupore
1903
Poupore, à 13 km de Buckingham, Petite-Nation (Québec) Canada


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Tragédie au village de Poupore

Le dimanche 11 octobre 1903, les habitants du village de Poupore, situé sur la rive ouest de la rivière du Lièvre, à 13 km de Buckingham, furent victimes d’un éboulement qui commença un-peu en aval de l'écluse, au bureau de poste de Poupore, qui s'appelait autrefois le «Petit Rapide». L'éboulement emporta près de 95 acres de terrain sur une distance de plus de 91 mètres (300 pieds) en direction du nord-est, engloutissant une demi-douzaine de fermes et une vingtaine d’autres bâtiments. Nombre de chemins et de ponts furent endommagés, de même que le barrage et l’écluse.

Le barrage gouvernemental fut donc renversé et l'écluse, dont les portes furent défoncées, se rempli d'argile provenant de l'éboulement. Les masses d'argile bloquèrent la rivière jusqu'à sept cents pieds en amont de l'écluse. Derrière ce barrage naturel, le niveau des eaux grimpa de plus de 24 pieds et dépassa d'un pied le sommet de l'écluse. Il faudra plus de quatre ans pour que soit rétablie la navigation sur cette section de la rivière du Lièvre.

La portion de terre éboulée, d’à peu près 95 acres, partait du pied de la montagne qui s'élève sur la rive ouest de la rivière dont elle est distante d'un mille environ en cet endroit; la surface du sol avait été enfoncée jusqu'à une profondeur d'environ vingt pieds depuis la montagne jusqu'à la berge de la rivière.

Le mouvement était nettement dirigé vers le nord-est depuis la base de la montagne mais l'épanchement d'argile qui comblait le chenal sur près de trois quarts de mille en aval de l'écluse couvrait aussi une étendue considérable de la berge, directement au sud de l'écluse. Une partie même de cet épanchement était remonté au nord et comblait l'écluse elle-même. La rivière était barrée par l'argile à un tel point que les eaux refoulées remontaient jusqu'à peu de distance des Grandes Chutes. L'éboulement s'était produit dans un aire argileuse qui, jusqu'alors n'avait pas été dérangée.



Sources : R.W. Ells, Rapport sur l'éboulement de Notre-Dame de la Salette, Rivière du Lièvre, Québec. Canada, Ministère des Mines, Division de la Commission Géologique. 1908
http://archive.org/stream/rapportsurlboul00canagoog#page/n5/mode/1up
Réseau du Patrimoine Gatinois, Les Trésors du Patrimoine, Géologie de la vallée, Poupore
http://www.reseaupatrimoine.ca/cyberexpositions/les-tresors-du-patrimoine/geologie-de-la-vallee/poupore/

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La maison du maître-éclusier ainsi que le barrage et l’écluse de Poupore à la suite de l’éboulement
1903
Poupore, à 13 km de Buckingham, Petite-Nation (Québec) Canada


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Quand le passé géologique permet de comprendre une catastrophe

L'éboulement de Poupore qui eut lieu en 1903 avait été évidemment causé par plusieurs journées de fortes pluies qui avaient complètement saturé la large platière argileuse. Celle-ci avait alors très lourdement surchargé le massif d'argile sous-jacent et les cloisons limoneuses. Au raccordement des argiles et des roches de la montagne située en arrière, il y avait une couche de petites roches concassées et la pluie qui descendait les versants de la colline avait évidemment pénétré le long de la ligne de contact jusqu'alors a une couche de limon existant à quinze ou vingt pieds de la surface.

Cette couche, une fois le point de saturation atteint, avait tourné à l'état semi-liquide et en raison de la pente très graduelle vers la rivière, la pression du massif d'argile sous-jacent avait amené finalement la rupture de l'équilibre de la masse argileuse.

La strate supérieure s'était mise en mouvement dans la direction du moindre effort, c'est-à-dire vers la berge de la rivière. La mesure du déplacement, constatée en plusieurs endroits de la platière même, comme on pouvait en juger par le dérangement de la route qui traversait l'étendue, paraissait être de 300 pieds au maximum. Le mouvement ne s'était pas produit suivant la surface glaciaire polie des roches sous-jacentes, mais simplement le long des plans de limon de l'argile elle-même.

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Homme posant près des décombres laissés par l’éboulement de Notre-Dame-de-la-Salette
1908
Municipalité de Notre-Dame-de-la-Salette, Petite-Nation (Québec), Canada


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Tragédie

Dans la nuit du 26 avril 1908, la petite municipalité de Notre-Dame-de-la-Salette allait connaître un destin tragique. Vers quatre heures du matin, les habitants du village furent surpris dans leur sommeil par un glissement de terrain qui emporta la rive ouest de la rivière du Lièvre, engloutissant instantanément trois maisons et tuant six personnes. La coulée de terre qui envahit alors la rivière occasionna une grande vague qui déferla sur le village. Les immenses blocs de glace transportés par l’eau détruisirent douze maisons et 25 autres bâtiments sur leur passage.

C’est 34 personnes qui perdirent la vie lors de cette tragédie, soit près de 10 % de la population de Notre-Dame-de-la-Salette, faisant de ce glissement de terrain l’un des plus meurtriers de l’histoire du Canada.

Selon les journaux du lendemain, une étendue de terrain large d'un demi mille et longue de 500 verges aurait été emportée par le glissement survenu près de la rivière du Lièvre. Une quinzaine de maisons furent ensevelies, occasionnant des pertes évaluées à 35 000 $. Au cours des jours qui suivirent le désastre, la population fut témoin de scènes troublantes (familles enterrées sous les décombres, corps emportés par la rivière, etc.) qui restèrent gravées dans la mémoire des habitants de la région très longtemps.

Afin de rappeler ce triste événement, un monument sur lequel figure le nom des victimes fut dressé dans le parc commémoratif situé sur la rive est du village.
Source : http://www.reseaupatrimoine.ca/cyberexpositions/les-tresors-du-patrimoine/

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Service funèbre pour 17 des 34 victimes de l’éboulement de Notre-Dame-de-la-Salette 2 jours plus tôt
1908
Municipalité de Notre-Dame-de-la-Salette, Petite-Nation (Québec), Canada


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Un service pas comme les autres

Cette photographie fut prise le 28 avril 1908, lors du service funèbre de 17 des 34 victimes de cette tragédie.

À l’aube du 26 avril 1908, un glissement dans de l’argile à Leda s’est produit soudainement sur la rive ouest de la rivière du Lièvre qui était gelée à ce moment-là et comportait une couche d’environ 0,5 mètre de glace en surface. Trois maisons situées sur la rive ouest ont immédiatement été englouties, entraînant 6 personnes vers la mort. En atteignant la rivière, le glissement a généré une vague extrêmement destructive qui s’est abattue sur une partie du village de Notre-Dame-de-la-Salette, situé sur une basse terrasse sur la rive opposée.

Emportés par la vague, de gros blocs de glace de rivière ont écrasé des bâtiments. Douze bâtiments ont été complètement détruits par la vague et 27 autres personnes ont perdu la vie. On a trouvé des débris jusqu’à 15 mètres au-dessus du niveau de la rivière. L’écoulement d’eau boueuse qui a suivi le glissement a été observé jusqu’à Montréal. Ce glissement de terrain s’est produit dans la niche de décollement d’une coulée de terre plus ancienne dont l’ampleur était beaucoup plus grande. Par la suite, le village a été déplacé sur une terrasse plus élevée.

Source : http://atlas.nrcan.gc.ca/auth/francais/maps/environment/naturalhazards/landslides/1

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Service funèbre pour 17 des 34 victimes de l’éboulement de Notre-Dame-de-la-Salette
1908
Municipalité de Notre-Dame-de-la-Salette, Petite-Nation (Québec), Canada


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Les victime sont-elles oubliées?

La plupart des dépouilles ont été inhumées le 28 avril 1908. Voici les noms qui ont pu être retrouvés en consultant les actes de la paroisse.

Alexina Lamoureux, femme de Napoléon Charron et ses enfants, Amanda, quatre ans, Adélard, trois ans et Charron, sept mois. Rose Anna Charron (inhumée le 24 juin), 31 ans, femme d'Augustin Larivière et ses enfants Camille, 10 ans, David, Emma, six ans, Rose, deux ans et  Albert, onze mois, Georges Morissette, 10 ans, fils de Louis et de Sophie Deslauriers, Cléophas Deslauriers, 34 ans et sa femme, Célina Paquin, 35 ans ainsi que leurs enfants, Damien, 11 ans et Wilfrid, huit ans et Albert, sept ans, Lucien, cinq ans, Béatrice, trois ans (inhumée le 5 juin) et Alice, six mois, Emilie Labelle, 75 ans, veuve de Emmanuel Lapointe, Daniel Lapointe, 19 ans, Eddy, 14 ans, Arthur, 12 ans, Angus, neuf ans et Henri Lapointe, sept ans, fils de feu Camille et de Christian McMillan (à connaissance, Christiane McMillan, veuve de Camille Lapointe, a survécu), Alesina Légaré, 30 ans, femme de Joseph  Murray (corps non retrouvé) et ses fils Arsidas, 10 ans, Wilfrid, neuf ans (inhumé le 3 juin) et ses filles, Florida, sept ans et Anna, cinq ans (inhumée le 28 mai), Adélard Murray, 30 ans, fils de François et de Louise Gagnon, Émelie Gravel, 39 ans, femme de Paul Desjardins et leur fils Elias, 6 ans, Florimond Desjardins, 13 ans, fils de Paul et Alphonsine Mallette.

Extrait d'un article de journal paru dans La Patrie entre le 27 et le 30 avril 1908

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Image de l’éboulis de Notre-Dame-de-la-Salette
1908
Municipalité de Notre-Dame-de-la-Salette, Petite-Nation (Québec), Canada


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Une effroyable catastrophe
Textes parus dans le journal «La Patrie», les 27, 28, 29 et 30 avril 1908

Une trentaine de personnes trouvent une mort horrible à Notre-Dame-de-la-Salette

Éboulis, glace et torrent

Le sinistre est arrivé vers cinq heures dimanche matin - Les communications interrompues – Une partie de la population de Buckingham se porte hier sur les lieux, le village de la Salette étant à 18 milles de Buckingham.

M. Maurice Brosseau, colon de la région apporte la nouvelle à Buckingham, après avoir parcouru 18 milles à cheval dans des chemins impraticables.

Trois envoyés spéciaux de la Patrie arrivent la nuit dernière sur les yeux

Buckingham, 27. Samedi soir, le coquet petit village de Notre-Dame de la Salette s'est endormi, comme à l'ordinaire, dans le calme et la tranquillité.

Les eaux de la Lièvre qui coulait au bas de la berge taillée à pic étaient grossie par la fonte de la neige, mais pas plus qu'à l'ordinaire, à cette époque de l'année. La rivière charriait de la glace, mais la crue des eaux donnait un passage libre aux glaçons. Tout était donc à l'état normal, lorsqu'une par une, les lumières s'éteignirent dans les petites maisons de ferme et que la nuit s'étendit sur le village.

À quatre heures du matin, dimanche, les habitants furent éveillés par un sourd grondement comme le bruit du tonnerre. En même temps, le sol oscilla et les maisons sursautèrent. Brusquement, arrachés de leur sommeil, muets de terreur, les habitants écoutèrent et attendirent, se demandant si ce n'était pas la fin du monde.

Du côté de la rivière, le bruit sourd continuait de se faire entendre, augmentant la confusion des gens. Puis, le bruit cessa et tout rentra dans le silence le plus absolu.
Soudain, l'on entendit un craquement terrible, non plus du côté de la rivière, mais au centre même du village. Il y eut comme une poussée dans l'air et un sifflement comme le bruit d'un cyclone.
Où étaient ces maisons ?

Les villageois s'élancèrent dehors et s'aperçurent que la moitié du village était disparue et que là où était la côte coulait un impétueux torrent. Là où étaient les fermes et leurs dépendances, s'élevaient des pyramides de glace que les flots tourmentés de la Lièvre assaillaient de toute part.
Quatorze maisons de ferme étaient disparues. Qu'étaient devenus les habitants? Où étaient les quarante personnes qu'abritaient ces maisons? Il n'y avait pas un être vivant dans cet amoncellement de ruines.

L’éboulement

Sur l'autre rive de la rivière, là où il y avait une côte de quarante pieds de hauteur, et sur laquelle était située la ferme de Camille Lapointe, il n'y avait plus qu'un trou béant. La ferme, la maison et ses dépendances avaient tout simplement été précipitées dans la rivière et projetée de l'autre côté. Alors, la glace s'est amoncelée et forma un barrage de trente-cinq a quarante pieds de hauteur, l'eau s'élevant de plus en plus.

Le village étant situé dans une petite baie couronnée de hautes collines. C'était la partie la plus basse du sol de la région, et comme les eaux de la rivière devaient se trouver une issue, elles débordèrent, entraînant une masse terrible de glace sur le petit hameau.

Une quinzaine de maisons furent englouties et tous ceux qui les habitaient ont péri. Il n'y eut pas d'appel au secours. En un instant. Tout était consommé.

Comme un immense raz de marée les flots s'élancèrent dans la rivière au-dessous, et s'étant forcé un chenal autour de dix arpents de terre qui formaient le barrage, la rivière baissa jusqu'à ce qu'elle atteigne un niveau d'environ douze pieds plus élevé que celui de samedi.

La rivière du Lièvre est large de 100 pieds à cet endroit. Les maisons sont réparties des deux côtés. Du côté ouest, la falaise atteint une hauteur de 40 pieds contre 10 pieds du côté est. A quatre heures hier matin, sur une longueur d'environ un demi-mille, la terre s'est écroulée dans la rivière, engloutissant deux maisons. Le déplacement de l'eau a rejeté les banquises de glace de la rivière sur l'autre rive, une inondation s'est produite, et la glace, projetée avec violence contre les maisons en a détruit 11.

La cause du désastre est la formation géologique de la falaise, qui repose sur un lit d'argile et de sable. Les sources qui viennent prendre naissance en-dessous minent le sol peu à peu.

Explication scientifique

Voici comment le Dr H.M. Ami, du Bureau Géologique, d’Ottawa, explique scientifiquement le phénomène désastreux qui vient d’arriver à Notre-Dame de la Salette, et qui n’est pas sans précédent en cette région.

Les côtes de glaise qui bordent la Lièvre, sont de très récente formation et sont formées de glaise marine.

Au fond de la Lièvre et des terrains avoisinants se trouve un vieux lit de granite laurentien.
Sur cette couche éphémère, repose un lit plus récent de glaise et de gravier ordinairement divisé en deux parties, d’âges divers. Ces couches de glaise ne sont pas très solidement cimentées l’une à l’autre, à cause de leur récente formation.

L’eau s’infiltre entre les deux couches et y charrie du sable et du gravier qui finissent par former des milliers de petits rouleaux. Ainsi la couche supérieure repose sur cette multitude de petits rouleaux.

L’humidité mine peu à peu ce qui retient l’une à l’autre les deux couches jusqu’à ce que, comme dans le cas qui vient de se produire, la couche supérieure se détache complètement, glisse sur ses petits rouleaux naturels et, emportée par son propre poids, s’éboule dans la vallée.
Ces éboulis se produisent ordinairement le printemps, à cause de la crue des eaux de cette période.

L’été dernier, ayant été très sec, la glaise est devenue très cuite et de larges fissures s’y sont faites.

Par ces fissures, lorsque les pluies vinrent, l’eau s’introduisit facilement jusqu’à la couche inférieure où elle accomplit graduellement son œuvre de désagrégation.

La crue des eaux considérable de ce printemps aida de son côté à déterminer le terrible éboulement d’hier.

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Rapides de la Petite Nation à Chénéville
1942
Municipalité de Chénéville (Petite-Nation, Québec) Canada