1

Le développement économique d'une région dépend très souvent des métiers pratiqués par les tous premiers habitants de cette région. Les régions de la Petite-Nation et de la Lièvre ne diffèrent pas à cette règle. Au début du XIXe siècle, la région n'avait que ses ressources naturelles et c'est autour de l'exploitation de ces ressources que le moteur de l'économie s'est construit.

En dehors du commerce de peaux de castor, les principaux métiers tournaient donc autour de l'exploitation du bois, principale ressource de la région. Les bûcherons étaient les premiers maillons de la chaîne, alors qu'ils effectuaient leur travail en forêt durant l'hiver afin d'abattre les arbres en très grand nombre. Ces arbres étaient ensuite transportés sur les cours d'eau gelés, où les draveurs prenaient le relais en acheminant les billots de bois près des scieries, là ou les employés des scieries prenaient le relais en transformant le bois en divers sous-produits, tels des planches et des madriers de construction. Les produits de ces transformations étaient acheminés aux grands chantiers maritimes d'Angleterre ou dans les agglomérations de la province afin de servir de matériaux de construction.

Les mineurs étaient eux aussi essentiels à l'économie locale, bien que l'industrie minière soit moins importante que l'industrie du bois. Entre 1875 et 1930, ils étaient tout de même nombreux à travailler à l'extraction, au chargement ou à la transformation des minerais, fruits des sols de la région.

2

Abattage d’un immense pin au godendart dans le secteur du lac Écho
1940-1950
Municipalité de Val-des-Bois, Petite-Nation (Québec) Canada


3

Un potentiel forestier vite constaté

Comme mentionné plus tôt, les bûcherons étaient les premiers maillons de la chaîne. Ils effectuaient un travail plus que difficile en coupant les gros arbres à l'aide d'une simple hache et d'une scie ou d'un godendart.

L'histoire des bûcherons de l'Outaouais commence en 1800, lorsqu'un groupe de colons dirigés par Philemon Wright, un important propriétaire terrien de la Nouvelle-Angleterre, s'installe sur la rive nord de la rivière des Outaouais (au portage de la Chaudière, secteur de Hull) en compagnie de 36 hommes, 5 femmes et 21 enfants. Il rêve d'établir une colonie agricole en Outaouais et il comprend très rapidement le potentiel forestier de la région en raison du blocus continental imposé à l'Angleterre par Napoléon 1er. C'est en 1806 que le premier train flottant composé de 50 radeaux et transportant du chêne, du pin blanc et du pin rouge entreprend la route vers le port de Québec, ce qui aura pour effet de changer complètement l'avenir de la région.

Le bois exporté en Angleterre à cette époque à probablement servi à la construction d'une flotte anglaise pour combattre Napoléon Bonaparte, empereur des Français de 1804 à 1821.

En 1820, l'Outaouais devient la plaque tournante de l'exploitation forestière en Amérique du Nord, en raison de la grande demande britannique pour le bois d'oeuvre, le développement d'un marché américain pour le bois de charpente ainsi que la demande toujours croissante d'un marché local pour le bois de chauffage.

En 1830, l'Outaouais est même considéré comme le plus grand chantier de bois au monde.

4

Transport du bois à l'aide de cheveaux dans la foret du lac Doré, secteur de Duhamel
Hiver 1947
Municipalité de Duhamel (Petite-Nation, Québec) Canada


5

Bûcher son pain

Cette image présente les bûcherons qui, lorsque leur travail de coupe était effectué, devaient effectuer le débardage ou halage du bois (opération forestière qui consiste à transporter les arbres abattus de leur lieu de coupe vers un lieu de dépôt provisoire) à l'aide de chevaux ou de boeufs de travail. Le bois était très souvent conduit sur les cours d'eau qui une fois dégelés au printemps, permettaient aux draveurs de les conduire près des scieries construites aux abords des cours d'eau.

Bien que le bois équarri soit très recherché et qu'il soit à l'origine du développement phénoménal de l'industrie forestière de l'Outaouais, les entrepreneurs ne se contentaient pas de couper et transporter le bois vers le port de Québec. C'est grâce à l'implantation de scieries, de manufactures et d'usines de transformation du bois implantées tout le long des cours d'eau que les marchands ont exporté sur les marchés internationaux des douves en chêne, des mâts et des avirons, de la potasse et des grands madriers de pin. Durant les années 1830 et 1840, la vallée de l'Outaouais a produit près d'un million de pièces qui ont été exportées dans le monde.

Cette époque est reconnue comme l'âge d'or de l'industrie forestière parce qu'elle à contribué au développement économique et démographique de l'Outaouais, mais également parce que contrairement au début du siècle, les investisseurs, les marchands, les colons et surtout les ouvriers spécialisés ou non étaient attirés en grand nombre par la grande prospérité et les promesses d'une vie meilleure dans la région. Entre 1827 et 1840, la population de la région de l'Outaouais est passée de 2 488 à 40 000 habitants.

C 'est donc au départ grâce au dur labeur des bûcherons qui devaient travailler sans relâche l'hiver entier sur les chantiers pour ensuite retourner vers leurs familles que tout ce développement a eu lieu.

6

Le glissoir à bois des Grandes Chutes près du barrage High Falls sur la rivière du Lièvre
1894
Rivière du Lièvre, Région de la Lièvre (Québec) Canada
ATTACHEMENT DE TEXTE


Crédits:
William James Topley, BAnQ Centre d'Archives de l'Outaouais

7

Bing su' la ring! Bing! Bang!

Dans les années 1820, des droits de coupe sont accordés à Baxter Bowman dans la vallée de la Lièvre, au nord de High Falls. Les premières coupes se concentrent sur le pin blanc qui est acheminé aux grands chantiers maritimes en Angleterre, via Québec. Le bois coupé en hiver est déposé sur la glace et conduit par flottage jusqu'à l'Outaouais. Les draveurs, hommes habiles et fantasques, sautent alors sur les billes et les dirigent dans le courant des crues du printemps, armés de leur courage et d'outils spécialisés : la fourche, la gaffe, le cantouque, le franc-renard et le crochet. Les obstacles exigent des opérations adaptées.

Les billes sont regroupées en cages, espèces de grands radeaux flottants, que l'on démonte à la tête des chutes et des rapides, pour les reconstituer en aval. On fait sauter à la dynamite les embâcles dans les goulots naturels de la rivière. Les pertes en vies humaines sont nombreuses. Mais le bois se brise aussi dans les chutes et les rapides. Les MacLaren, ayant obtenu le monopole sur la rivière du Lièvre par des rachats successifs et des permis de coupe, construiront un premier glissoir pour contourner les High Falls. Faute de chemin de fer, et de routes adéquates, la drave ne cessera sur la rivière du Lièvre qu'en 1993.

8

Travailleurs forestiers (draveurs)sur un bac et homme à cheval sur les rives de la rivière Outaouais
Vers 1890
Rivière des Outaouais, Petite-Nation (Québec) Canada


9

Draver et braver

Voici une très vieille photographie datant du début du XIXe siècle qui nous présente des draveurs regroupés sur un radeau et accompagnés de deux hommes à cheval, qui suivaient et supervisaient probablement la progression de leurs hommes sur le cours d'eau depuis les rives.

Les draveurs, aussi appelés cageurs ou raft-mans, étaient principalement des bûcherons qui, après avoir passé un hiver entier en forêt à couper et à transporter le bois sur les cours d'eau gelés, descendaient ces mêmes cours d'eau, lors du dégel, aussi appelé la débâcle, afin d'y faire descendre les bois qu'ils avaient entreposé sur les lacs et digues de fortune en bois et en glace. Une fois la glace fondue, les billes de bois étaient libérés de leurs prison de glace et descendaient les cours d'eau au gré du courant. C'est grâce à ce qu'ils appelaient la cage que le bois et les marchandises étaient transportés le long des cours d'eau.

Sous les commandes du maître de cage, les tâches des draveurs consistaient à manoeuvrer les cages à l'aide de longues rames, ou de tirer ces cages à l'aide de chaloupes en absence de vents. Ils devaient également surveiller les roches et les rives afin d'éviter de s'échouer en cours de route. Les draveurs devaient constamment garder leurs sens en alerte afin de pouvoir réagir en cas de dangers comme l'eau mouvementée des rapides ou un obstacle à venir. Un coup de sifflet, un feu ou le son du cornet de brume indiquaient ainsi aux autres équipes de draveurs l'approche d'un obstacle.

10

Trois draveurs en action sur la rivière de la Petite Nation
Vers 1920
Rivière Petite-Nation (Québec) Canada


11

Le voyage de l'or brun

Voici une autre très vieille photographie, datée des années 1820, qui nous présente trois draveurs à l'oeuvre sur la rivière Petite-Nation. Lorsqu'ils ne se déplaçaient pas sur les radeaux, les draveurs voyageaient directement sur les billots de bois et c'est à l'aide d'une gaffe, qui est une grande perche en bois munie d'un crochet à l'extrémité qu'ils manoeuvraient et se dirigeaient.

Les risques étaient énormes puisque les billots de bois immergés étaient extrêmement glissants, en raison de l'eau et du frottement constant du bois contre le bois, ce qui avait presque toujours pour effet d'écorcer la matière presque entièrement. C'était une économie de temps et d'argent pour les commerçants, puisque cette étape leur était évitée, mais cela représentait un danger de plus pour les hommes. Heureusement, ils portaient des chaussures adaptées au métier de draveur, chaussures que quelques cordonniers de la région fabriquaient spécialement pour eux.

Les risques de maladies et d'infections, l'hypothermie, les mutilations et les noyades étaient toujours présents, ce qui rendaient les conditions de travail extrêmement difficiles. Les hommes qui pratiquaient ce métier devaient être forts et très costauds. Ces hommes baignaient dans une culture masculine étroitement liée aux épreuves physiques, à la rudesse, aux défis et très souvent à la violence. La vie sur les chantiers, l’hiver passé loin de la maison et de la famille, la fréquentation des ports et tavernes, ainsi que la loi du plus fort qui y régnait avaient pour effet de mettre en valeur la force, l'habileté et le courage.

Ce métier, mal payé et miséreux, était généralement exercé par des agriculteurs inactifs l'hiver et souvent très pauvres, le au seul profit de patrons qui ne prenaient aucun risque. Le voyage de l'or blanc s'effectuait en majorité grâce au travail d'une majorité des Canadien français du Québec et de l'Ontario, mais aussi d'Acadiens, d'Irlandais, d'Écossais et même d'Anglais. Les anglais étaient quant à eux très souvent nommés contremaîtres (ou ''foreman'') en raison de leur maîtrise de la langue du patron.

12

Groupe de draveurs réunis à la « Dame à Bill »
Début de XXe siècle
Vallée de la Petite-Nation, (Québec) Canada


13

La Dame à bill

Cette vielle photographie du début du XIXe siècle nous présente un groupe de draveurs regroupés sur un radeau et posant pour la postérité à "La Dame à Bill". Nous les voyons ici sur un petit radeau, mais ceux-ci étaient très souvent beaucoup plus gros et mieux aménagés pour la dure réalité du métier, mais également pour leur faciliter la vie. En 1823, plus de 300 chargements de bois ont parcouru les cours d'eau entre l'Outaouais et le port de Québec.

14

Cuisine construite sur un radeau directement sur la rivière pour les draveurs au travail
Années 1930
Vallée de la Lièvre (Québec) Canada