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L’identité

Photo de Belle Lougheed, bouquet de fleurs à la main

Lady Lougheed, vers le début des années 1900. Archives du Glenbow NA-3232-3.

Dès sa naissance, le père de Belle, ses enseignants et d’autres personnes l’ont incitée à adopter des manières européennes et à se distancer de son patrimoine métis. Malgré son apparence physique, davantage autochtone, elle se présentait comme personne de race blanche, ce qui lui permettait de naviguer facilement au sein des divisions tendues et complexes animant les Premières Nations, les Métis et les colons européens. Pour que Belle puisse prospérer à Calgary, il fallait qu’elle s’identifie comme Britannique, une stratégie que de nombreux Métis adoptaient à l’époque. En 1911, l’Albertan a publié un article méprisant les peuples autochtones et les autres personnes de couleur.

« [La province] ne veut pas une Alberta de couleur… Écartez l’homme jaune, l’homme rouge et l’homme noir. Ce ne sont pas de bons colonisateurs. Ils ne peuvent pas devenir de bons Canadiens. » [traduction libre][1]

Belle ne s’est pas laissée accabler par ces commentaires.

« [Elle] aimait beaucoup trop la vie pour laisser des insultes raciales la blesser… Elle avait le luxe d’être exactement la personne qu’elle voulait être. Après tout, qui en ce début de vingtième siècle de la Calgary britannique s’élevait au-dessus d’elle dans la pyramide sociale? » [traduction libre][2]

Photo d’un service à thé de la famille Lougheed avec la lettre « L » gravée sur les composantes

Service à thé en argent, vers le début des années 1900. Collection de la société de conservation de la maison Lougheed. 2017.003.001.

Belle a été la cible de discrimination en raison de son patrimoine autochtone et de son indigénéité, mais en même temps, elle vivait une vie privilégiée et tous les gens avaient une haute estime d’elle. Même au collège Wesleyan des dames, lorsqu’on croyait qu’elle était la fille d’un chef indien, elle était considérée comme une personne au statut social élevé. Les liens qu’elle entretenait avec son père, son mari, son oncle Richard Charles, ainsi que sa tante et son oncle Isabella Sophia et Donald Alexander lui ont permis d’adoucir ses expériences en tant que femme métisse. Pour sa part, James a été la cible de railleries pour avoir « épousé une Indienne », même si ces mariages étaient fréquents à l’époque et même si lui et Belle faisaient partie de l’élite. Il a continué d’appuyer les intérêts des Métis,[3] ce qu’il a prouvé en s’occupant de l’aspect juridique des demandes de certificat de Métis de Mary Anne Allen Hardisty Thomas en 1901.

Photo de Dorothy Lougheed portant une grande coiffe de plumes à côté d’une voiture à Beaulieu

Dorothy Lougheed portant une coiffe et des vêtements des Premières Nations, vers 1920. Collection de la société de conservation de la maison Lougheed 6-1.

Après son départ de la maison, Belle s’est éloignée de sa mère Mary Anne dans tous les sens du mot. Après le décès de William Lucas en 1881, il y a eu peu de correspondance entre ces deux femmes. Par ailleurs, le nom de Belle n’est pas mentionné dans l’annonce de décès de sa mère. Une grande distance les séparait, Belle étant à Calgary et Mary Anne étant dans le district de Dauphin, au Manitoba. Pourtant, les frères de Belle semblent être restés en communication avec leur oncle Richard Charles, malgré les distances semblables qui les séparaient. Cela dit, même sans l’influence de sa mère, Belle a su conserver des aspects de son patrimoine métis une fois adulte. Elle a dansé la gigue de la Rivière-Rouge à quelques occasions, une danse dont de nombreuses personnes craignaient la disparition en raison de la colonisation. Par ailleurs, Belle s’enorgueillissait de quelques articles perlés, comme des sacs à main et des vêtements, bien que personne ne sache si le perlage était le fruit de son labeur ou non.

Quatre personnes portant des vêtements autochtones derrière une table avec de l’artisanat autochtone à la maison Beaulieu; groupe Southern Alberta Pioneer and Oldtimers Women, en 1923

Groupe de femmes des Southern Alberta Pioneer and Oldtimers Women à la maison Lougheed, Calgary, Alberta, juillet 1923. Photographie de W.J. Oliver. Archives du Glenbow ND-8-408.

Malgré son ascendance métisse, Belle faisait preuve de préjugés à l’égard de personnes autochtones. Il ne faut pas oublier que le père de Belle manifestait ouvertement son dédain pour d’autres Autochtones, tant sur le plan personnel que professionnel. Belle vivait dans une société qui essayait, du plus profond de ses forces, d’effacer les identités autochtones et qui l’incitait constamment à se distancer de sa culture métisse. À son arrivée à Calgary, elle n’aimait pas ses servantes squaws et au sang mêlé.

« [E]lles pouvaient faire la lessive, mais n’étaient pas capables de repasser le linge. Elles n’étaient jamais fiables. » [traduction libre][4]

L’estime qu’elle portait aux Métis et à la cause métisse a baissé encore plus quand son frère Dick s’est fait tuer par les hommes de Louis Riel lors de la bataille de Batoche en 1885.

Belle savait que pour réussir en tant qu’épouse d’un éminent avocat et, plus tard, en tant que Lady Lougheed, il ne fallait pas qu’elle soit perçue comme Autochtone. À l’instar de bien d’autres Métis du Canada de l’époque, l’indigénéité de Belle est devenue invisible au fur et à mesure que la domination des Anglais s’imposait.

Lawrence Gervais, Olivia Marie Golosky, et Joe Lougheed discutent de questions relatives à la reconnaissance de l’identité et du patrimoine des Métis, avec transcription .

[1] « Keep the Negroes Out », The Albertan, le 6 avril 1911, tel que cité dans : Donald Smith, Calgary’s Grand Story, 2005, p. 56

[2] Donald Smith, Calgary’s Grand Story, 2005, p. 61

[3] Alan Hustak, Peter Lougheed, McClelland and Stewart Ltd, Toronto, Canada, 1979: « Dans la nature homogène de la société pionnière de l’époque, les mariages interraciaux n’étaient pas inhabituels. Plus tard cependant, à mesure que James Lougheed gravissait les échelons, il a dû faire face à des provocations et de la discrimination au sujet de sa femme « indienne ». Si cela les dérangeait, ils ne l’ont jamais laissé paraître ». [traduction libre], p. 12

[4] « Canadian Women in the Public Eye », SATURDAY NIGHT – « The Paper Worth While », le 16 septembre 1922