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La créativité et l’innovation au milieu du chaos et de la destruction

Photo en noir et blanc d’un atelier ambulant logé dans un wagon de tramway en bois. Un côté est ouvert et laisse voir trois soldats occupés à fabriquer divers articles.

Atelier mobile, dans un tramway du Corps expéditionnaire canadien, juin 1918.

Nombreux sont ceux qui ont constaté que la guerre est, au bout du compte, une longue période d’ennui profond, ponctuée de moments de pure terreur. Peut-être que la population civile se réconfortait à l’idée que la guerre des tranchées se résumait, ou peu s’en faut, à des soldats minés d’ennui, écrivant des lettres à leurs proches, chantant ensemble de nombreux refrains et se divertissant avec des activités banales. C’était probablement un point de vue séduisant, pour la bonne raison que la réalité était trop terrible et inconcevable.

Le vécu du soldat est dominé par une série d’épisodes impétueux, angoissants, troublants et démoralisants sur les champs de bataille. Mais il est également composé de longues périodes d’inaction dans une caserne. Ces longues périodes d’attente donnaient naissance au besoin de se distraire et de se livrer à des activités plus libératrices pour l’esprit humain. Dans leurs temps libres, de nombreux soldats s’adonnaient donc à la création de divers objets. Ces articles exprimaient une volonté d’innovation et trouvaient leur place dans un territoire situé entre l’art et l’artisanat.

Bien que certains soldats canadiens faisaient preuve de créativité au fond des tranchées sur les champs de bataille, la plupart d’entre eux donnaient libre cours à leur imagination à l’arrière du front. L’armée disposait d’ateliers mobiles, bien outillés, pour réparer le matériel des soldats de retour dans leur camp. C’est là que bon nombre de soldats trouvaient le temps et les outils nécessaires pour se livrer à des travaux manuels. C’était aussi un endroit idéal pour entreposer ces objets faits à la main.

Photo en noir et blanc d’une armurerie improvisée. Deux soldats derrière une table étudient divers armements, et deux autres soldats sont présents.

Un atelier d’armurerie derrière les lignes canadiennes à Vimy, en mai 1917.

Les matériaux pour la fabrication des objets étaient faciles à trouver. On pouvait simplement les récupérer dans les ruines des villes et des villages, ou encore dans les amoncellements de douilles de munitions. Un grand nombre de soldats canadiens qui ont servi pendant la Première Guerre mondiale venaient des régions rurales du pays. Cela signifiait qu’ils savaient exploiter au mieux les matériaux à portée de la main.

Ce savoir-faire artisanal est tout aussi évident dans les artefacts liés à d’autres évènements mondiaux, tels que la ruée vers l’or du Klondike. Il fallait nécessairement utiliser tout le matériel transporté vers le Yukon, ou encore le modifier pour les besoins immédiats. De la même façon, on a vu des soldats canadiens « bricoler » des engins explosifs ou des dispositifs comme des miroirs permettant d’épier par-dessus le parapet des tranchées au cours de la Première Guerre mondiale. Les « gourdins de tranchée », faits à la main et utilisés par les soldats britanniques, ont tout probablement été aussi assemblés et employés par les militaires canadiens.

Un soldat de la Première Guerre mondiale installe une girouette au bout d’un bout de tuyau monté sur un poteau. La girouette représente un homme à bicyclette.

Un soldat installe une girouette, septembre 1917.

Les gaz asphyxiants étaient une arme terrifiante et mortelle, utilisée pour la première fois par les Allemands contre les troupes canadiennes et alliées en 1915. Une image prise durant la Première Guerre mondiale montre un dispositif d’alerte en cas d’attaque au gaz. Malgré l’importance d’un tel appareil, on lui a donné la forme plutôt farfelue d’un soldat cycliste. Et, en même temps, cette sculpture en bois a été conçue pour représenter la direction du vent et, ainsi, la possibilité d’une attaque au gaz de la part de l’ennemi. On ignore si le soldat ou sa création ont survécu à la guerre. Quoi qu’il en soit, l’image montre bien que ce soldat vivait une situation dangereuse. C’est aussi la preuve que la créativité et l’humour avaient leur place dans les tranchées de la Première Guerre mondiale.

Deux ronds de serviettes avec écussons de laiton. Le nom « Vimy » est gravé sur le premier et le nom « Somme » sur l’autre.

Porte-serviettes, souvenirs des Batailles de la Somme et de Vimy, aluminium, cuivre, g. : 3,2 x 5,3 x 5,6 cm; dr. : 3,2 x 5,9 x 5,6 cm, Première Guerre mondiale.

Le désir de création et d’invention des soldats allait bien au-delà des besoins sur les champs de bataille. Il favorisait également la production d’objets appartenant clairement à la vie civile antérieure à l’enrôlement sous les drapeaux. Les soldats fabriquaient des articles comme des ronds de serviette, des tire-boutons et des ouvre-lettres ou coupe-papiers.

Ouvre-lettres en laiton lustré. La poignée est une cartouche de carabine et le nom « Amiens » est gravé sur la lame, qui a la forme d’un soldat vu de profil où elle est fixée à la cartouche.

Ouvre-lettres, laiton, 18,7 x 2,5 x 1,1 cm, Première Guerre mondiale.

 

Ce genre d’effort créatif allait à l’encontre de l’atmosphère guerrière dans laquelle les soldats étaient plongés. Bien que ceux-ci aient souvent dû endurer l’existence dans des tranchées boueuses et infestées de rats, ces types d’articles évoquent une époque et des lieux bien différents. Ils suggèrent une vie paisible, empreinte de raffinement et de civilité. C’est donc dire que la création de ces objets contribuait au bien-être psychologique des soldats. À un certain niveau, ils évoquaient des souvenirs d’un ancien foyer et d’une vie civile paisible. Mais sur un autre plan, ces ouvre-lettres et ces ronds de serviettes aidaient les soldats à imaginer la possibilité d’un avenir, après la guerre, où ils mèneraient une vie tranquille et civilisée. Ces souvenirs, autant que cet avenir imaginé, permettaient aux soldats de s’évader de leur existence quotidienne, imposée par cette guerre.

Pour les civils, toutefois, bon nombre de ces objets peuvent présenter des aspects troublants. Les douilles d’obus et de cartouches ne trouvent pas facilement leur place dans le quotidien paisible de la population civile, parce qu’elles sont si intimement liées à une violence meurtrière. Lorsqu’une personne n’est pas habituée à la manutention et à l’usage de munitions, ce type d’objets peut certainement être troublant à première vue. Il est par conséquent logique que les pièces d’art des tranchées soient aujourd’hui le plus souvent utilisées ou exposées dans des endroits comme des mess, des manèges ou des musées militaires, ou encore des filiales de la légion.

Mais indépendamment des effets qu’ils peuvent ainsi avoir, ces articles faits à la main symbolisent la nature humaine, l’expérience vécue par les soldats, ainsi que l’aspiration suprême qui les animait. L’imagination et la créativité évidentes dans ces objets nous amènent à discerner, chez ces soldats, la volonté d’échapper à l’ennui des tranchées et des casernes, et faire face aux ravages causés par les dures batailles.

Pour voir d’autres exemples d’art des tranchées et d’autres objets d’artisanat canadiens liés à la guerre, cliquez ici.