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La nuit où Almonte a connu la guerre

Il y a de l’excitation dans l’air pendant que les jeunes soldats montent à bord du train qui attend à la gare de Brandon, au Manitoba. C’est le 26 décembre. Les treize voitures du train militaire ont quitté Red Deer, en Alberta, deux jours auparavant, et bon nombre des voitures sont déjà pleines à craquer.

Comme dirait une sardine à une autre : ils nous entassent comme des soldats .

C’est ce qu’entend William Parsons alors qu’il tente de se frayer un passage à bord du train. Une fois tous les bagages rangés, il reste à peine de la place pour bouger, mais rien ne peut miner le moral des soldats. William sait depuis des semaines qu’il doit servir outre-mer. Les indices étaient tous réunis : visites dans les magasins du quartier-maître pour une question d’habillement (de pansements de combat, plus précisément) et nouvelles rondes de vaccination. Puis la nouvelle tombe, nous devons faire nos bagages et nous préparer à partir.

Les soldats sont maintenant en route vers Halifax. L’alcool de contrebande coule à flots. Certains commencent à jouer aux cartes, tandis que d’autres chantent et font des blagues. Le train ayant roulé jour et nuit, les soldats sont épuisés à l’approche d’Almonte.

Photographie du train militaire après l’accident ferroviaire d’Almonte plus loin sur la voie ferrée, à distance d’Almonte; on y voit des hommes debout dans la neige autour de la locomotive, 1942

Le train militaire après l’accident ferroviaire, 28 décembre 1942

 

Alors que le train emprunte une courbe à l’approche de la ville, William entend le crissement soudain des freins. Le train vacille violemment et le bruit de l’impact retentit. Tous ceux qui sont debout sont jetés par terre.


Les gens se précipitent pour aider

Une confusion totale règne dans la voiture alors que les soldats se précipitent vers les portes pour s’apercevoir que le train s’est arrêté sur le pont enjambant la rivière Mississippi. William éprouve une drôle de sensation lorsqu’il regarde les tourbillons d’eau 35 pieds plus bas, tout en suivant les autres qui pressent le pas sur la passerelle étroite en direction de la locomotive. Mais cette sensation n’est rien comparativement à ce qu’il éprouve lorsqu’il voit les décombres pour la première fois.

Les débris s’entassent. William se dit qu’il doit y avoir beaucoup de morts et de blessés, mais il n’entend aucun bruit. Un silence sinistre transperce l’air pendant que la neige tombe en flocons.

Il est difficile de décrire ce que j’ai ressenti à ce moment-là. J’étais un jeune homme innocent de vingt ans qui venait de quitter la ferme. Je n’avais jamais vu un cadavre. Je vivais un cauchemar.

Les soldats sautent dans l’action. Ils travaillent aux côtés des civils pendant des heures, faisant bon usage de leurs pansements de combat.


Un soldat à la rescousse

Le soldat Vern Gordon retourne à Ottawa en ce lundi matin pour travailler. Il est monté à bord du train local de la vallée de l’Outaouais à la station Arnprior plus tôt ce soir-là. Les places assises étant toutes prises, Vern avait trouvé une place debout dans la quatrième voiture depuis la queue du train et avait réussi à s’agripper à quelque chose pour garder son équilibre. Mais, à son arrivée à la gare d’Almonte, il bascule et se trouve soudainement empêtrer dans un enchevêtrement de corps couchés au plancher. S’excusant auprès des personnes autour, il se remet debout et descend du train.

Les décombres du train local de la vallée de l’Outaouais à Almonte au lendemain de l’accident ferroviaire avec des gens debout autour, 1942

Les décombres du train à la suite de l’accident ferroviaire, 28 décembre 1942

 

En sortant, il voit la jupe d’une petite fille battre au vent, près de la cheminée de la locomotive à vapeur, ce qui rend encore plus bouleversante la scène de désolation qui s’offre à lui.

Vern Gordon sort la trousse de premiers soins de son sac et fait ce qu’il peut pour aider. Parmi les blessés, il reconnaît un homme grand et bien vêtu qui l’avait dépassé plus tôt dans la soirée à Arnprior alors qu’il se frayait un chemin vers la troisième voiture depuis la queue. Un morceau de bois brisé d’environ 45 cm de longueur est enfoncé dans sa cheville et est indélogeable. Vern enveloppe la cheville de l’homme avec son dernier bandage dans l’espoir d’arrêter le saignement. Il doit amener l’homme à l’hôpital, mais aucune ambulance n’est encore arrivée sur les lieux. Vern remarque alors quelques voitures garées près de la gare; les clés se trouvent dans le démarreur de l’une d’entre elles. Il remplit la voiture de passagers blessés, puis il les conduit vers une unité de triage installée au centre de curling. Des lits de camp et des piles de couvertures sont déjà en place à son arrivée.


 Remerciements pour services rendus

William et Vern ne sont que deux des soldats venus en aide aux victimes cette nuit-là. Deux autres soldats montés à bord du train militaire ont reçu la Médaille de l’Empire britannique en reconnaissance de leurs gestes de courage. Le sergent John Wesley Gillespie a prodigué les premiers soins aux blessés et a supervisé les équipes de secouristes, bien qu’il ait lui-même été blessé. Le soldat Frederick Robert Whitta a prodigué les premiers soins et a aidé les médecins lors d’interventions majeures tout au long de la nuit, et ce, malgré son inexpérience médicale.