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Le Géant bipolaire, une légende vivante! – Quatrième partie

Paysage d’hiver avec en premier plan la plaine de neige, au centre du tableau une maison et ses dépendances adossées à une lisière de forêts aux teintes rouge érable d’abord, puis vert conifère surmonté ensuite par les contreforts montagneux et les ciels bleus.

Late October (Tard en octobre). Techniques mixtes. Par Laimon Mitris, 1978.

Écoutez Guillaume Beaulieu vous raconter sa légende à sa manière en cliquant sur l’extrait audio ci-dessous ou choisissez de la lire à votre rythme. Consultez la transcription intégrale ici.

Encarcané dans une malaisante solitude, le géant prend le temps de rapailler ses esprits et ses biens pour retrouver le Nord en lui et la force d’aimer. Il retrousser ses manches, réarpente le territoire à nouveau de long en large, puis s’arrête un instant, les coudes sur les genoux. Il est au bord de la retraite, frappé par les couleurs « Mitris » qui jaillissent de partout. Happé par les éclats vitrioliques de ciel rose entrant en ses pupilles dilatées, il s’avoue vaincu par son territoire. Tant de tourments pour en arriver à savoir que le territoire qu’il a dégagé, ouvert et habité est en lui, et que nulle part ailleurs il ne se sent chez lui.

Vue extérieure d'un paysage rural, à l'aube, sur un champ et un bâtiment encore très peu éclairé. Une légère brume s'élève.

Un paysage de Preissac. à la fin des années ’70.

Qu’il avait jadis rêvé de ce que serait ce terrain giboyeux lorsqu’il était insulaire et qu’au fond, il avait trouvé encore mieux; un territoire d’alchimie qui boit ses larmes salées pour les changer en eau douce. Un terrain d’abondance pour troquer les choses qui lui manquent dans la valse du concert des nations.

Un fin voile quadrillé se superpose à un paysage flou dont les deux tiers du haut sont dominés par une masse blanche percée de trous sombre et le dernier tiers du tableau par maintes coulures verticales rouges, vertes et blanches.

La mémoire est une faculté qui oublie. Peinture par Ariane Ouellet, 2005.

Or, qu’a-t’il fait de ce territoire si cher à ses yeux? Oui, il y avait bien les villes droites, les villages sinueux, les promontoires aux vues panoramiques, les sentiers de secrets ainsi que le travail propre de la terre, mais… Combien de crevasses immenses, de forêts de conifères obligés, de dépotoirs en eskers ainsi que de crachats de bitume et de fumée noire dans une course au développement qui fait toujours plus de perdants à chaque seconde, parce qu’on n’a jamais ressenti un manque aussi grand que lorsqu’on court pour ressembler au sud? Il s’est dit qu’en effet, il a une pension à payer à sa deuxième femme, celle de la ville.

Son père l’a déçu en lui cachant qu’il faisait la piastre sur le dos de ce territoire qu’il ne connaissait pas vraiment, afin de payer à l’infini de lourdes dettes aux créanciers. Or, il faut être imaginatif, faire preuve d’une joyeuse délinquance créative pour s’appartenir soi-même, tout en mettant un terme à quelques relations toxiques qui rendent son territoire exsangue, et lui-même par extension.